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ajoute comme agréments quatre coqs de divers plumage, dont deux sont blancs, brodés en relief sur les pans et sur les larges manches de son kirimon ; les plumes de soie de leur queue flottent gracieusement en l’air à chaque mouvement de la belle. La seconde est la dame aux poissons d’or : elle en porte un de chaque côté de sa robe, sur un fond de vagues et d’écume en fil d’argent ; les broderies accessoires représentent de petits enfants qui jouent avec des rubans de toutes sortes de couleurs voltigeant librement sur le kirimon.

Peindrai-je ensuite la dame aux têtes de mort, la dame aux candélabres, la dame aux grues, la dame aux chrysanthèmes ? Mais où faudrait-il s’arrêter, si l’on voulait décrire dans tous ses détails le tableau des hommages rendus aux courtisanes par les prêtres et par le peuple de Yédo ? Les scènes des matsouris sont loin d’épuiser ce ridicule sujet. Ce n’est pas assez que les bonzes de Miôdjin et les prêtres de Sannoô invitent des courtisanes à se produire dans des processions religieuses périodiques : il y a chaque année dans l’enceinte de Sin-Yosiwara une foire accompagnée d’une parade, d’une exhibition générale des cinq mille privilégiées qui habitent ce quartier ; et les bonzes d’un grand temple du voisinage, celui du Quannon d’Asaksa, se font délivrer régulièrement les portraits des reines de la fête pour les suspendre, comme dans un panthéon, aux parois de leur sanctuaire.

En présence de pareilles mœurs, on ne peut qu’admirer l’à-propos avec lequel la grande matsouri de Sannoô admet au rang de ses idoles et promène solennellement dans les rues de la ville la grotesque statue d’un singe à face rouge, coiffé de la mitre sacerdotale et armé du goupillon.

Du haut de son tambour orné de riches tentures, cette moqueuse image domine au loin la foule et semble étaler aux yeux des spectateurs l’ironique caricature des parades religieuses auxquelles ils viennent d’assister.


Les fêtes du calendrier.

Les matsouris ou kermesses des temples du Japon rendent au gouvernement de ce pays un service qui serait fort apprécié en Europe. Elles le déchargent du souci d’amuser ses sujets. Ceux-ci, de leur côté, suppléent de leur propre fonds à ce qu’elles peuvent encore laisser à désirer. Il y a donc des fêtes japonaises qui ne consistent point en représentations et en divertissements donnés au peuple par les bonzes, mais en véritables réjouissances publiques, dans lesquelles le peuple lui-même est l’unique acteur et le véritable héros de la journée.

Ce sont d’abord les go-sékis ou cinq grandes fêtes annuelles. Issues du daïri, elles avaient dans l’origine un cachet religieux, qui ne nuisait en rien à la gaieté des manifestations extérieures, car la morale du culte kami proclame qu’un cœur joyeux est par le fait dans l’état de pureté.

La séki du premier jour du premier mois est naturellement la principale des fêtes du nouvel an. C’est celle des visites de félicitations et des étrennes. Ces dernières consistent au moins en deux ou trois éventails que le visiteur apporte, selon l’usage, dans une boîte de laque entourée de cordons de soie ; mais quelles que soient la nature et la valeur du présent principal, il l’accompagne d’un cornet de papier contenant un morceau séché de la chair du coquillage nommé awabi, ou du siebi, poisson des plus vulgaires ; et cette manifestation est un pieux hommage rendu à la frugalité des antiques mœurs nationales. D’autre part, la famille qui reçoit la visite, y répond par une petite collation composée de saki, de pain de riz et d’oranges mandarines. La langouste joue aussi un rôle important dans l’échange des étrennes. Chaque ménage en conserve généralement une jusqu’à l’année suivante : toutefois, quand il le faut, on la réduit en poudre pour la consommer ; elle est efficace contre certaines maladies.

La seconde des go-sékis, la fête des poupées, a lieu le troisième jour du troisième mois (avril). Elle est consacrée à la jeunesse féminine. La mère de famille orne de branches de pêchers en fleurs la chambre de parade, et y fait une exposition des poupées que ses jeunes filles ont reçues à leur naissance. Ce sont de jolies figures, élégamment costumées, représentant le mikado, la kisaki et d’autres personnages de la cour impériale. On leur offre un festin complet, que les jeunes filles, quand elles sont en âge de le faire, préparent de leurs propres mains, et vers le soir on le consomme gaiement avec les amis de la maison.

Le cinquième jour du cinquième mois (juin), une fête d’un caractère moins intime, celle des bannières, se célèbre en l’honneur des jeunes garçons. Que l’on se figure une ville comme Yédo, toute pavoisée, dès le matin, de tiges de bambous de la plus haute taille, surmontées de plumets, ou de houppes de crin, ou de boules de papier doré, et supportant, les unes une touffe de longues banderoles de papier de couleur flottant au gré du vent ; les autres, des poissons en paille tressée ou en papier laqué ; le plus grand nombre enfin, de hautes bannières tendues sur un cadre de roseaux et ornées d’armoiries, de noms de familles, de sentences patriotiques ou de figures héroïques. C’est un spectacle charmant, surtout lorsqu’on le contemple du haut d’une galerie donnant sur l’une des grandes rues de la Cité. Les passants paraissent et disparaissent parmi les images des bannières. Les magasins de bronzes exhibent, à l’étalage, des casques, des armures complètes, des hallebardes gigantesques aux formes fantastiques. Le marchand obséquieux reçoit ou accompagne sur le seuil, les officiers qui viennent visiter son nouveau choix de fournitures militaires et commander quelque pièce digne de figurer parmi les cadeaux de la journée. Des troupes de jeunes garçons en habits de cérémonie circulent sur la voie publique, les uns ayant à la ceinture deux petits sabres semblables à ceux des yakounines, d’autres portant sur l’épaule un énorme sabre de bois orné de couleurs variées et de beaux ru-