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lui, car il m’a tout laissé entre les mains ; mais je ne dois pas le faire. D’ailleurs il y a longtemps qu’il m’a dit : Les blancs viendront me trouver et j’aurai besoin de parler avec eux. »

Quant a mon départ, il me dit qu’il ne pouvait me fixer d’époque, mais qu’il le presserait le plus possible dès que la route serait praticable.

J’insistai à mon tour, car toutes ces réticences ne me semblaient pas d’un favorable augure, et pensant que cela pourrait être d’un bon effet, je lui déclarai que je ne pouvais rester longtemps et qu’à partir du 20 mai je renoncerais à aller à Hamdallahi parce que je désirais rentrer à Saint-Louis avant les pluies. Enfin je demandai à faire partir les deux courriers qui m’avaient precédé, pour annoncer mon arrivée à Ségou.

Il remit la réponse au lendemain.

En effet, le lendemain matin il me reçut en petit comité dans la cour intérieure où j’étais entré la première fois. Il me promit d’expédier mes courriers, mais pas de suite, et il me dit de préparer mes lettres.

Puis il causa de nos usages, et ainsi qu’il l’avait déjà fait à chaque visite, me questionna beaucoup sur des choses dont on lui avait parlé sur les divers peuples de l’Europe, leur force, leur gouvernement, leur religion ; sur la guerre de Crimée, Stamboul[1], les chemins de fer, les télégraphes, l’armée. On conçoit que la conversation
Entrée du palais d’Ahmadou, à Ségou. — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.
ne pouvait guère languir. Cependant j’essayai de lui glisser quelques idées pratiques et je lui insinuai que si dans tout son pays il y avait des routes droites, larges de cinq à six mètres (dix à douze coudées), cela abrégerait les distances et que bientôt il y aurait des voitures. Puis il me demanda à voir mes dessins. Si les paysages ne le frappèrent que médiocrement, les figures et les types l’étonnèrent au plus haut point.

En rentrant chez moi, je reçus un mouton et un bœuf.

Je ne revis Ahmadou que le 6 mars. Le docteur venait d’avoir la fièvre ; comme dans tout le cours de mon voyage, après les grandes fatigues, nous en subissions le contre-coup. Ahmadou remarqua l’altération de ses traits. J’insistai pour expédier nos courriers, pour partir nous-mêmes, mais je n’obtins que ces réponses vagues avec lesquelles les diplomates d’Afrique ont toujours berné et exaspéré la patience des fils de l’Europe : « Tout à l’heure — Ché Allaho. — Bientôt. »

Je lui demandai s’il pensait que la chose fût possible dans huit jours, et il me répondit : « Peut-être. » Et moi, peu habitué encore à ces réponses, j’eus la simplicité d’y puiser une espérance.

Mage.

(La suite à la prochaine livraison.)


  1. Nom sous lequel tous les musulmans désignent Constantinople.