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jours à Hamdallahi. On me dit qu’il allait bien, qu’il était toujours en cet endroit. Je demandai si je pouvais aller le voir. À cette question, Ahmadou répondit : « Quand nous aurons causé. » Je lui remis alors la lettre du gouverneur ; il l’ouvrit et la parcourut. Elle était en arabe et français. Je crus voir sur sa figure un air d’embarras. Je craignis qu’il ne la comprît pas, c’est-à-dire qu’il ne sût pas l’arabe et je lui proposai de la lui faire traduire en peuhl sur le texte français. Il accepta. Je lus alors, phrase par phrase, en francais : Samba-Yoro répétait en yoloff et Samba N’diaye en toucouleur.

La séance fut levée sur la demande que je fis de traiter le plus tôt possible les affaires sérieuses, pour lesquelles j’étais venu le voir. Mais Ahmadou, prétextant que nous avions besoin de repos, ordonna de nous conduire à notre logement.

À première vue, j’avais donné à Ahmadou dix-neuf ou vingt ans ; en réalité il en avait trente ; assis, il paraissait petit ; il est plutôt grand, et il est bien fait. Sa figure est très-douce, son regard calme ; il a l’air intelligent.

Il bégaye un peu en parlant, mais il parle bas et très-doucement. Il a l’œil grand, le profil du nez droit, les narines peu développées. Son front est haut et assez large. Ce qu’il a de plus laid, c’est sa bouche dont les lèvres sont un peu retroussées, ce qui, avec le menton fuyant, est un trait de la race nègre. La couleur de sa peau se rapproche de celle du bronze ; elle est plutôt rouge que noire.


Samba N’diaye, ingénieur en chef d’Ahmadou. — Dessin de Émile Bayard.

Il était coiffé d’un bonnet bleu de cette étoffe de coton, désignée sous le nom de roum (rouennerie ou étoffe de Strasbourg) ; un boubou très-flottant de même étoffe était posé par-dessus un turkey de coton blanc très-fin. Sa guiba ou poche de devant de son boubou était très-vaste.

Il tenait à la main un chapelet dont il défilait les grains en marmottant pendant les intervalles de la conversation. Devant lui, sur sa peau de chèvre, étaient posés un livre arabe ainsi que ses sandales et son sabre.

Seuls, parmi toutes les personnes présentes à ce palabre, nous avions conservé nos chaussures.

Nous sortîmes du tata par le même chemin qu’en arrivant, et nous nous dirigeâmes vers notre demeure, accompagnés par une garde de sofas d’Ahmadou armés et munis de fouets dont ils se servaient énergiquement pour écarter la foule. Heureux d’avoir à exercer leurs bras, ils poussaient leur zèle jusqu’à frapper les femmes qui, de chez elles, nous regardaient passer.

Nous suivîmes une rue large qui passe entre la mosquée et la maison d’El Hadj, tata presque aussi fort que celui de son fils, plus grand d’ailleurs, mais moins régulier. C’est là que sont enfermées ses femmes, ses esclaves et entre autres les princesses des anciennes familles royales de Ségou et du Macina, ses captives.

C’est également là que sont ses magasins, sa fortune, selon l’expression de Samba N’diaye, magasins qui jouent un rôle politique considérable à Ségou, tant par leur importance véritable que par celle qu’on leur prête. Le sommet de la muraille du tata d’El Hadj est presque partout garni de piquets de bois dur, aiguisés et destinés à remplir l’office des morceaux de bouteilles dont on revêt chez nous le haut des murs. Cela peint assez la défiance du maître envers les hôtes qu’il détient. Samba N’diaye, en me confiant ces choses, chemin faisant, m’apprit aussi qu’il était le gardien de cette riche maison, et que seul avec Ahmadou il avait le droit d’entrer chez les femmes.

Un peu plus loin, nous trouvâmes une place, sorte de rond-point où se tenait un petit marché à l’ombre de ces beaux arbres dont j’ai déjà parlé : les doubalels. Ce serait un joli endroit si, à quelques pas, n’était point un de ces immenses trous creusés pour en retirer la terre nécessaire aux constructions et qui finit par se changer en un marais profond à l’époque des hautes crues, et en un foyer d’infection, un déversoir d’immondices à la saison sèche. De là, notre rue moins large s’inclina un peu sur la droite, et presque à l’extrémité occidentale du village, nous entrâmes dans une ruelle sinueuse qui nous conduisit à la maison de Samba N’diaye. C’était une série de cases en rez-de-chaussée d’environ trois mètres de haut, toutes bâties en terre avec une espace de charpente grossière en bois dur et une terrasse ; le tout, du reste, assez bien construit.

Les portes, sauf celles d’entrée, n’ont qu’un mètre soixante centimètres de haut ; elles sont fermées par des panneaux de bois composés de deux ou trois planches réunies par des barres en bois et des clous en fer. Ou leur a adapté les fermetures en fer usitées pour les magasins à Saint-Louis. La première cour, dans laquelle nous entrâmes par un petit