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les pays que j’allais parcourir, une plus grande valeur, devaient augmenter ainsi mes faibles ressources.

J’espérais une somme beaucoup plus forte, et, malgré ma résolution bien arrêtée de périr plutôt que de reculer un instant, j’avais senti mon cœur se serrer à la pensée des souffrances que de si modestes ressources allaient m’imposer et à la crainte de ne plus posséder assez de forces pour pouvoir les supporter. J’avais écrit à ce sujet à un ami dont je dois taire le nom, mais que l’on reconnaîtra peut-être si je dis que son infatigable bienveillance pour le personnel de la marine égale sa haute position administrative. Il communiqua ma lettre au ministre de la marine et des colonies qui m’ouvrit un crédit supplémentaire de quatre mille francs ; mais quand cette bonne nouvelle parvint dans la colonie, j’étais déjà en route et je ne l’appris qu’à Bafoulabé. Dans l’intervalle j’avais reçu du gouverneur de la colonie des instructions détaillées : j’en extrais comme complément indispensable à ces préliminaires de mon voyage les passages qui indiquent surtout le but que je devais atteindre.

« … Votre mission consiste à explorer la ligne qui joint nos établissements du Haut-Sénégal avec le Haut-Niger, et spécialement avec Bamakou, qui paraît le point le plus rapproché en aval duquel le Niger ne présente peut-être plus d’obstacles sérieux à la navigation jusqu’au saut de Boussa.

« Le but serait d’arriver, lorsque le gouvernement de l’Empereur jugera à propos d’en donner l’ordre, à créer une ligne de postes distants d’une trentaine de lieues entre Médine et Bamakou, ou tout autre point voisin sur le Haut-Niger qui paraîtrait plus convenable pour y créer un point commercial sur ce fleuve.

« Le premier de ces postes en partant de Médine, serait Bafoulabé, confluent du Bafing et du Bakhoy, dont nous nous occupons déjà depuis longtemps.

« Il serait probablement nécessaire de créer trois postes intermédiaires entre Bafoulabé et Bamakou.


Richard Toll. — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.

La ligne droite que vous chercherez à suivre traverse d’abord le pays des Djawaras (Sarracolets qui habitent une province du Kaarta) et le Foula Dougou, province tributaire du Ségou. Mongo-Park a suivi cette voie à son deuxième voyage ; mais les caravanes allant de Bakel au Haut-Niger, ne la suivaient pas dans ces dernières années. Elles appuyaient au nord pour aller passer au Diangounté ou bien gagnaient le sud pour aller, en remontant la Falémé, passer par le Diallonka Dougou, dans l’un et l’autre cas le chemin était beaucoup plus long.

« Je ne pense pas que la ligne directe de Bafoulabé à Bamakou, passant par Bangassi, capitale du Foula Dougou, présente des obstacles naturels sérieux. Les quelques cours d’eau à traverser doivent offrir autant d’avantages que d’inconvénients, et il n’est pas probable qu’il y ait des chemins de montagnes de quelque importance.

« Si au moyen des postes dont je vous ai parlé, et qui serviraient de lieux d’entrepôt pour les marchandises et les produits, et de points de protection pour les caravanes, nous pouvions créer une voie commerciale entre le Sénégal et le Haut-Niger, n’aurions-nous pas lieu d’espérer de supplanter par là le commerce du Maroc avec le Soudan ?

« Les marchandises partant de Soueyra (Mogador) pour approvisionner le Soudan, ont quatre cents lieues à faire à dos de bêtes de somme à travers un désert sans vivres et sans eau avant d’arriver sur le Niger. Pour 1 000 kilogrammes, c’est cinq chameaux et au moins un conducteur voyageant pendant trois mois.

« Examinons l’autre voie que nous cherchons à ouvrir. Les marchandises venant de France, d’Algérie, d’Angleterre ou même du Maroc à Saint-Louis, à l’embouchure du Sénégal, payent de 30 à 40 francs de fret pour 1 000 kilogrammes. Pour remonter jusqu’à Médine, mettons 60 francs, c’est beaucoup. De Médine au Niger, supposons 150 lieues. Il faut les faire à dos de bêtes de somme ; mais dans un pays fertile où l’eau ne manque pas. Cette distance franchie, nos embarcations transportent soit en descendant, soit en remontant le fleuve, les marchandises à très-peu de frais dans le bassin du Haut-Niger ; il y a un avantage évident et très-considérable en faveur de la nouvelle voie que nous voudrions