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pier. Je remarquai alors à son côté une curieuse épée ; elle était très-vieille, mais elle avait dû être une arme de prix. Sa lame damasquinée était très-riche, sa poignée finement ciselée, et on voyait sur une des coquilles une tête d’empereur romain, triomphateur, d’une grande beauté.

Plus tard Tierno Boubakar, en me remerciant, me fit encore demander un boubou de coton blanc, que je m’empressai de lui donner ; c’était du madapolam d’un mètre cinquante centimètres de large, fort estimé dans le pays.

Boubakar Djawara ne nous demanda qu’un peu de poudre ; j’en étais bien fourni, et je pus en cette occasion comme tout le long de la route, faire des générosités.

Le 10 février, au matin, nous nous dirigions enfin vers le Niger, auquel nous tournions le dos d’une manière inquiétante depuis quelque temps. Retrempé par un court repos, tout le monde était de bonne humeur, et on marchait vers l’est le cœur content. Les guides se firent un peu attendre comme d’habitude. Boubakar, à cheval, après avoir été les chercher, revint nous mettre en route. Il nous avait renforcés de trois talibés, dont un avait une lettre pour Ahmadou. En outre, ceux de Dinguiray, avec leurs esclaves en haillons, nous avaient rejoints, ainsi que deux hommes de Guémoukoura ; nous étions donc par le nombre prêts à tout événement. Au moment de me quitter, le vieux Boubakar me donna une espèce de bénédiction musulmane en se crachant légèrement sur la main, et se la passant ensuite sur la figure. Partis à sept heures et demie, nous laissions le chemin de Bélédougou sur notre droite, et vers dix heures vingt minutes, nous traversions un lougan dépendant de Dianghirté, dont les arbres étaient littéralement couverts de sauterelles qui, après en avoir dévoré les feuilles, semblaient s’attaquer aux écorces. Ces insectes, véritables fléaux des récoltes et dont la voracité est incroyable, faisaient, par leur vol et leurs mouvements continuels, un bruit analogue à celui de la grêle.

Quelques instants après, nous traversions un marigot qui, bien qu’à sec, avait un lit si marqué et si profond, qu’il frappa de suite mon attention. Je demandai ce que c’était, et un Maure m’informa que ce cours d’eau allait, à la saison des pluies, tomber dans le Niger, en sillonnant le Bélédougou ; c’était donc, selon toute probabilité, le fameux Ba-Oulé, décrit par tous les donneurs de renseignements, mais ce n’était pas à coup sûr une rivière. Quant au point où il joint le Niger, bien qu’à cette époque on m’eût dit qu’il allait tomber dans les environs de Bamakou, plus tard, lorsque je remontai le Niger, ayant eu à traverser presque en face de Dina un immense marigot, désigné comme le grand marigot du Bélédougou, j’ai dû conclure que c’était le même Ba-Oulé, d’autant plus qu’on m’affirmait qu’il n’y avait pas d’autres marigots dans le pays.

En suivant ses rives, nous arrivâmes à Kalabala, village peu important, habité par des Bambaras. À côté de nouvelles cases en paille, on voyait les débris de l’ancien village ruiné, comme tout le pays, pendant la conquête ; on pouvait encore juger de la disposition des cases qui étaient en terre comme à Dianghirté, et souvent en sous-sol. Le soir, à Fabougou, village en reconstruction sur le bord de l’une des branches du marigot, nous fûmes agréablement surpris par la vue d’un troupeau de deux à trois cents bœufs. Les bergers qui vinrent nous voir offraient le type peuhl dans toute sa pureté : nez aquilin, cheveux soyeux nattés, lèvres minces.

Notre nuit fut assez mauvaise, je ne dormis pas ; en dépit de l’hospitalité que nous recevions, nous commencions à nous épuiser ; notre biscuit était presque fini, notre café n’existait plus depuis longtemps, notre sucre avait été terminé avant le café, nous nous affaiblissions sensiblement, de telle sorte, qu’avant de me mettre en route, j’écrivis ces quelques lignes :

« Passé la nuit sans sommeil, presque malade ; peu dîné hier, il me faudra aller jusqu’à deux heures sans rien prendre. Si seulement j’avais un morceau de pain ! »

Eh ! mon Dieu ! oui, un morceau de pain ; tel était mon desideratum alors, tel il a été souvent depuis. Ce sont là de ces souffrances qu’on n’apprécie pas, et qui cependant sont intolérables pour qui les subit.

Les journées qui suivirent furent des plus fatigantes ; la seconde nous vit franchir les frontières du Ségou.

Plus nous avancions, plus le pays s’accidentait. Aux plaines de Kaarta et du Diangounté, succédait un pays plus boisé, des ravines rompaient la monotonie, de temps en temps un rocher perçait le sol. Autour des villages la culture du tabac devenait plus abondante ; mais quoique notant toutes ces remarques, j’y étais peu sensible, je n’avais qu’une idée : marcher, marcher quand même, pour arriver au Niger, avant que les forces ne me trahissent.

Ces pays fournissent à l’Afrique occidentale une bonne partie de ces colporteurs de marchandises qui, sous le nom de Diulas (mot soninké, qui démontre suffisamment leur origine), contribuent au développement du commerce sur une si grande échelle.

Partout où je passais, après avoir reçu l’hospitalité, je faisais un petit cadeau de poudre ou de quelque bagatelle ; c’était bien peu, mais j’aurais pu ne rien faire. Sans doute il y eut des mécontents, mais n’y en a-t-il pas toujours, et un secret instinct me disait de réserver mes marchandises, de ménager mes ressources. À cette époque je comptais bien, une fois arrivé au Niger, renouveler la tentative de Mongo Park, m’embarquer sur ses ondes et descendre jusqu’au golfe du Benin ; j’aurais alors besoin de toutes mes ressources, elles seraient même insuffisantes. Aussi, malgré la fatigue, malgré les souffrances, je pressais la marche, je ne voulais pas m’arrêter, et je me remis de suite en marche pour Tiéfougoula.

C’est un grand village à tata, entouré d’une immense goupouilli ou village en paille ; au pied d’une petite montagne, située au nord-est, on voyait un village de Peuhls dont les huttes en paille ont toujours un aspect misérable. Un grand nombre de bestiaux, quel-