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biennes l’idée qu’un blanc ne saurait vivre, dans l’Afrique, des ressources du pays. Ils me croyaient donc revenu sur mes pas et grand fut leur étonnement de me rencontrer ; ils me comblèrent d’amitiés, me disant que tout le pays m’aimait, parce que j’allais trouver El Hadj, que c’était bien bon pour eux qui pourraient aller voir les blancs et commercer avec eux quand je serais d’accord avec le marabout ; qu’ils avaient bien besoin des marchandises des blancs, mais qu’on les empêchait d’aller en acheter. Il est impossible de s’imaginer la joie que j’éprouvais de leur voir de pareilles dispositions. Cependant elle n’allait pas jusqu’à me soumettre à toutes les accolades que ces braves gens voulurent me donner.

Plus tard nous rencontrâmes deux troupeaux de beaux bœufs que leurs maîtres allaient échanger au Bouré contre de l’or et des esclaves. Ce fait confirmait ce qu’on m’avait déjà dit de la sécurité de cette route, par laquelle nous arrive le peu d’or du Bouré qui vient à nos comptoirs en passant par Nioro et quelquefois par Tichit, lorsque (ce qui arrive souvent) on le donne aux Maures en payement du sel livré à Nioro.

Notre route passa entre de petites collines élevées à peine de quelques mètres qui ne changent pas d’une manière notable l’aspect uniforme des plaines du pays. Partis à deux heures, nous arrivions à quatre heures et demie à Bambara Mountan, village où je vis pour la première fois reparaître, depuis le Foula Dougou où j’en avais aperçu, une forêt, les roniers. Ces arbres étaient nombreux, mais ils étaient trop élevés pour qu’on pût en cueillir les fruits.

Les noirs de ces pays ne les mangent que cuits quand le vent les abat. Ils ont alors une odeur de térébenthine très-accentuée et qui suffit pour empester une maison ; leur couleur est jaune safran.

Je remarquai aussi dans ce village quelques jeunes gens portant des cheveux longs tressés en petites nattes ; on me dit que c’était des Bambaras, mais on ajouta qu’ils étaient Soninkés d’origine.

Le 4 février, nous passâmes entre deux collines après lesquelles nous entrâmes dans des champs se succédant à de petits intervalles ; après deux heures et demie de marche nous traversions le village de Namabougou. J’avais devancé mon escorte avec Fahmahra. Je m’arrêtai quelques instants au bentang[1] ; le chef du village s’y trouvait ; c’était un vieillard entièrement blanchi par les années. Il s’éventait avec une queue de bœuf, mais n’articulait que des mots sans suite et incompréhensibles ; il était en enfance. Peu après ce village, nous apercevions à gauche quelques collines, sur lesquelles paissaient un troupeau de bœufs et un de chèvres. Peu après nous campions à Touroumpo pour déjeuner. C’est un petit village de cases en paille au milieu duquel on avait réservé une belle place munie d’un bentang.

Nous allâmes nous placer au bord d’un marigot où il y a beaucoup d’eau. La population y était mélangée de Diawandous et de Bambaras. Le chef m’envoya une poule. Peu après Fahmahra ayant reçu deux calebasses de lait, m’en donna une, que je reçus avec un vrai plaisir, car le lait en voyage forme la plus saine des nourritures et je lui dois certainement de n’avoir pas succombé en Afrique. Depuis Koundian j’en étais privé, le pays n’ayant pas de bestiaux ; aussi nous lui fîmes honneur.

Les femmes vinrent aussi apporter du beurre à vendre en échange de verroterie : je n’avais pas le temps de déballer mes paquets ; mais j’en eus assez pour les observer : de sang peuhl-diawandous, elles étaient en général jolies, coquettes et peu farouches. Après avoir fait boire les animaux et mangé au galop ce que nous avions apprêté, j’allais repartir quand on me dit qu’on nous préparait un repas. Je ne voulus pas priver mes hommes de ce surcroît de vivres ; j’attendis donc en me promenant un peu à travers les roniers qui croissent ici en grand nombre et étaient chargés de fruits. Leur hauteur varie de huit à dix mètres. J’aperçus également à mon grand étonnement des perroquets gris qui n’existent pas au Sénégal, mais qu’on rencontre en grande quantité depuis le Gabon jusqu’à Sierra Léone, et même jusque sur les bords du Rio-Géba.

À deux heures et demie, nous reprîmes notre route pendant une heure à l’est, et nous arrivâmes à un très-grand village nomme Guémou-Koura[2] dont on me parlait depuis notre départ de Makandiambougou comme d’une espèce de port de salut : après l’avoir traversé je devais voyager sans difficulté et dans l’abondance. De loin je fus agréablement surpris de voir un village en terre dont les maisons étaient surmontées de terrasses (c’était le premier que nous rencontrions) et dont quelques habitations semblaient avoir un étage.

En approchant, je vis que les murailles étaient à moitié ruinées, que tout autour du village, au milieu de champs de coton ou de tabac et des puits, il y avait bien des cases en paille, mais en somme c’était un grand village ; je devais y trouver un Tierno Ousman, Toucouleur, chargé des pouvoirs d’El Hadj, et j’espérais bon gîte et bon souper ; on va voir que je fus un peu désappointé.

J’avais cherché tout autour du village une place un peu propre pour camper, et partout je n’avais trouvé que des immondices ; je m’arrêtai enfin sous un arbre, et je me disposais à m’y établir quand on vint me dire qu’on m’avait préparé deux cases en sécos ; je m’y rendis : elles étaient à six cents mètres au nord du village : j’y étais à peine que Tierno Ousman vint me présenter ses compliments. Il était orné d’un vaste turban, tenait à la main un chapelet de musulman à gros grains et marmottait des prières. Il marchait entre deux Talibés qui semblaient le soutenir. C’était un tout jeune homme, et ses manières me déplurent souverainement à première vue. Il s’assit convenablement tout d’abord dans notre case, puis, sans transition se fit masser les jambes

  1. Bentang de Mongo-Park, banancoro de Caillé : hangar destiné aux palabres.
  2. Guémou-Koura, le nouveau Guémou, pour le distinguer du Kemmou (Guémou) de Mongo-Park, ancienne résidence de Daisé, roi du Kaarta, lors du passage du voyageur anglais.