Page:Le Tour du monde - 17.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nime chez tous les officiers de la marine anglaise[1] ; néanmoins l’Amirauté, par des raisons sans doute bien fortes, a cru devoir sinon l’écarter d’une manière absolue, du moins en ajourner la réalisation. Mais l’idée, dans le même temps, germait et se mûrissait ailleurs ; malgré l’abstention de l’Angleterre, elle n’en a pas moins fait son chemin, et un chemin rapide.

Presque en même temps que le capitaine Osborn, le docteur Augustus Petermann de Gotha prenait aussi l’initiative d’une proposition de voyage au Pôle. L’éminent directeur des Mittheilungen n’apporte pas seulement ici l’autorité d’un géographe profondément versé dans tout ce qui touche à l’étude du globe ; une longue étude des navigations du Nord l’a rendu particulièrement familier avec les questions polaires. Aussi sa voix a-t-elle eu en Allemagne un grand retentissement. Les gouvernements d’Autriche et de Prusse se sont montrés favorables à l’entreprise. Le public en général, et les villes maritimes du Nord, particulièrement la puissante cité de Hambourg, y ont apporté un concours effectif. Dès le mois d’août 1865, le comité de Gotha était en mesure d’équiper un petit vapeur acheté en Angleterre. Mais à peine en mer, un accident arrivé à la machine obligea de rentrer au port. Ce fut une saison perdue, et les événements qui éclatèrent l’année suivante en Allemagne tournèrent les esprits vers de tout autres pensées. Le docteur Petermann, cependant, ne s’est pas découragé. Sa persistance énergique s’est de nouveau adressée à l’esprit public et aux régions officielles. Quinze mille thalers, environ soixante mille francs, ont été réunis, et avec cette modique somme l’entreprise a été jugée possible. Et ce n’est pas une simple reconnaissance, une navigation d’essai comme quelques-uns l’ont cru ; le problème est attaqué par sa base, avec la pensée et l’espoir d’en trouver le dernier mot. « Je ne me livre pas aux illusions ni aux jeux de la fantaisie, écrivait le docteur Petermann il y a quelques semaines, le 26 avril ; je crois fermement, et sur des motifs solides, que l’on peut attendre de notre expédition des résultats d’une haute importance. Nos explorateurs allemands n’ont-ils pas fait souvent de grandes choses avec les plus petits moyens ? » Et l’auteur cite l’exemple de K. Mauch (dont il a été question plus haut), auquel il pouvait ajouter ceux de Barth, de Burckhardt, et bien d’autres.

L’expédition, partie de Bergen en Norvége le 24 mai, a commencé le cours de ses opérations.


XI


Un troisième projet s’est produit, et celui-là nous appartient. Il a pour auteur M. Gustave Lambert, un ancien élève de l’École polytechnique que les circonstances ont jeté dans la carrière maritime, et qui a pratiqué les mers boréales. Le plan de M. Lambert, fortement appuyé de déductions scientifiques et de vues pratiques, a promptement obtenu l’assentiment général. Notre Société de géographie l’a propagé de toute son influence ; un grand nombre d’hommes considérables dans la science et dans les classes élevées de la société l’ont soutenu de leur actif patronage. Mais ce plan est conçu dans de grandes proportions, que M. Lambert regarde comme propres à en assurer la réussite, et par cela même il exige une mise de fonds assez élevée, — dix fois plus élevée au moins que celle qui a suffi à mettre sur pied l’expédition allemande. L’empereur Napoléon, qui apprécie vite et bien toute grande idée propre à honorer la nation, a montré la vive sympathie que celle-ci lui inspire en s’inscrivant pour une souscription personnelle de cinquante mille francs.

Une souscription personnelle, ai-je dit : c’est qu’en effet ni M. Lambert, ni la Société de géographie n’ont voulu s’adresser à l’État, comme l’ont fait jusqu’à présent toutes les grandes expéditions analogues. On a pensé qu’il était digne du pays de soutenir directement une entreprise désintéressée dont l’honneur doit se répandre sur le pays tout entier. Aujourd’hui que les peuples tendent à sortir de tutelle, il est bien que l’initiative individuelle, dans de pareilles entreprises, se substitue à l’action officielle. C’est surtout dans les grandes conceptions scientifiques, comme notre époque en réclame encore un si grand nombre, qu’une nation doit prouver qu’elle peut se suffire à elle-même. Non pas que nous croyions qu’il faille se refuser de parti pris au concours de l’État, qui n’est, après tout, qu’une action collective sous une autre forme ; mais l’action individuelle, en témoignant d’une adhésion plus directe, a dans sa virilité quelque chose de plus honorable encore et de plus fortifiant. Que les deux ou trois millions d’hommes qui représentent chez nous dans toute sa plénitude le côté intellectuel du pays, se montrent les patrons-nés de toute idée noblement utile, et une offrande de quelques centimes apportée par chacun permettra de réaliser toutes les grandes choses que peut concevoir l’esprit humain. La France a montré et montre chaque jour, par les listes de souscription qui remplissent de longues colonnes du Moniteur, que du premier coup elle a compris ce noble rôle. Il faut dire aussi que M. Gustave Lambert ne s’y épargne pas. Infatigable missionnaire de la science, il parcourt tous les grands centres, toutes les villes importantes de l’empire, et sa parole, chaque jour renouvelée au milieu des foules sympathiques qui se pressent pour l’entendre, répand partout quelque chose de l’ardeur impatiente dont il est rempli. Applaudissons de toutes nos forces à ces utiles Conférences ; elles contribueront puissamment à l’éducation du pays.


XII


On se trouve donc aujourd’hui en présence de trois plans d’exploration et de trois routes différentes : la route anglaise proposée par le capitaine Osborn ; la route allemande, soutenue par le docteur Petermann ;

  1. Nous nous sommes étendu sur ce sujet au t. iv de notre Année géographique, 1865, p. 351 et suiv.