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notre Société de géographie, pour remonter le Nil, pénétrer dans la région des sources, et revenir s’il se peut par le Gabon. M. Le Saint est parti de Khartoum en septembre, et il avait atteint, aux dernières nouvelles, le point extrême où s’arrêtent, dans le sud-ouest, les agents français du commerce de l’ivoire. Autant qu’on en peut juger d’après une esquisse envoyée dernièrement à Paris par MM. Poncet, de Khartoum, ce point est à 4 degrés environ au nord de l’équateur, et à vingt-cinq journées à l’ouest de Gondokoro. Le voyageur attendait là de nouveaux subsides qui lui ont été immédiatement expédiés. Nous pensons que dans cette attente il n’aura pas perdu son temps ; mais les détails manquent. M. Le Saint a entrepris une grande et noble tâche ; il s’y est lancé avec ardeur, et nous espérons bien que cette ardeur le soutiendra jusqu’à la fin. Il était question récemment dans les régions officielles d’envoyer un officier rompu aux observations, pour rejoindre notre voyageur et apporter une nouvelle force à l’expédition. Si l’on doit donner suite à cette bonne idée, il y aurait, à notre avis, quelque chose encore de mieux que d’envoyer un auxiliaire par la route de Khartoum : ce serait de faire partir du Gabon une petite expédition d’hommes de choix, qui se porteraient au nord-est à la rencontre de notre courageux pionnier. Les chances ainsi seraient doublées, et certainement aussi les résultats.


VII


Avant de sortir de l’Afrique, un mot encore sur l’expédition armée que l’Angleterre vient d’accomplir en Abyssinie. L’histoire en dira les causes et les incidents. Ce n’est pas par ce côté purement historique que la campagne d’Abyssinie nous appartient, mais par ce qu’elle peut avoir de résultats pour la science en général, et en particulier pour la géographie. Sans être bien grands ni bien étendus, ces résultats auront leur importance. La ligne suivie par l’armée anglaise a traversé plusieurs cantons très-peu visités jusque-là par les voyageurs, et les marches de l’armée auront donné une suite de reconnaissances et de relèvements militaires, de mesures d’altitudes et de déterminations astronomiques, qui ne peuvent que perfectionner notablement la carte du pays dans ses parties orientales. Précisément le champ des opérations anglaises s’étend principalement sur les parties du Plateau que les études de MM. d’Abbadie ont à peine touchées : ce sera un excellent complément de jalons topographiques. M. Markham, connu par deux bonnes relations du Pérou, et aujourd’hui un des secrétaires de la Société de géographie de Londres, avait été officiellement adjoint à l’état-major du général en chef, ainsi que d’autres officiers instruits de l’armée de l’Inde, et avec eux Gerhard Rohlf, que ses courses récentes dans le Sahara et le Soudan ont classé parmi les bons explorateurs de notre époque : nous pouvons donc nous attendre à de bons mémoires et à d’intéressantes relations.


VIII


L’Asie ne fournit pas d’aussi grands événements à notre chronique. Nous ne voyons pas encore le Japon s’ouvrir à nos voyageurs, qui auront tant à apprendre dans des îles dont les Européens ont jusqu’à présent à peine entrevu quelques parties littorales.

Dans l’Indo-Chine, il nous suffit de rappeler que notre colonie s’est à la fois agrandie et consolidée par l’adjonction des trois provinces occidentales, qui, par une anomalie singulière, avaient été laissées au royaume d’Annam, et qui étaient devenues un foyer d’agitation contre nous et contre le Kambodj. Un traité dont les ratifications ont été échangées a réglé nos frontières du côté de Siam, et assuré l’indépendance du Kambodj désormais placé sous notre protectorat. L’exploration du Mé-kong, ce grand fleuve qui descend du Tibet oriental, et qui traverse, avant d’arriver à la mer, le sud-ouest de la Chine, le Laos, puis d’immenses territoires habités par des tribus indépendantes, et enfin le Kambodj et la Cochinchine française, cette exploration, dis-je, s’est continuée et a dépassé maintenant la frontière chinoise. À la date des derniers rapports reçus à Paris, qui sont du 24 mai 1867, — juste un an de date, — la commission était arrivée à Luâng-pha-bâng, point extrême que notre compatriote Mouhot avait atteint en 1861, et où il est mort ; mais des avis ultérieurs, venus directement du Yuñ-nañ, annoncent l’arrivée de la commission dans cette province de la Chine. La carte du fleuve et de sa vallée a été soigneusement levée ; c’est une conquête importante pour la géographie positive de la péninsule indo-chinoise, en même temps qu’une route naturelle entre notre établissement de Saïgon et le sud de la Chine, vers lequel, de leur côté, les Anglais travaillent de toute leur force à s’ouvrir une voie commerciale par le nord du Barmâ. « Nous avons trouvé partout ici, dit le rapport de la commission française écrit de Luâng-pha-bâng, le souvenir de notre compatriote Mouhot, qui, par la droiture de son caractère et sa bienveillance naturelle, s’était acquis l’estime et l’affection des indigènes. Tous ceux qui l’ont connu sont venus nous parler de lui en termes élogieux et sympathiques. Les regrets que devait nous inspirer la vue des lieux où s’est accomplie sa dernière lutte ont été adoucis par la consolante satisfaction de trouver le nom français honorablement connu dans cette contrée lointaine. »


IX


Une grande question s’est emparée depuis deux ans de l’attention du monde géographique, ou plutôt du monde scientifique tout entier : un voyage au Pôle Nord. Cette question, si éloignée de nos préoccupations quotidiennes, a pénétré dans le grand public ; elle occupe les esprits et s’adresse aux intelligences. On en comprend mieux chaque jour le caractère, l’intérêt et la portée. Elle mérite que nous aussi nous en touchions aujourd’hui quelques points.