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des compagnons de M. de Decken sur la côte d’Afrique, et M. Kinzelbach, qui fit partie de l’expédition allemande de 1860 à la recherche de Vogel. Ces deux messieurs arrivèrent à Zanzibar au mois de novembre 1866. M. Kinzelbach s’y arrêta momentanément, tandis que M. Brenner continuait jusqu’à Brava. Le témoignage qu’il y recueillit de la bouche même d’un témoin oculaire ne confirma que trop la réalité de la catastrophe ; mais il s’y procura aussi, soit de la bouche des anciens, soit par ses propres excursions aux environs de la côte, des informations nouvelles sur la géographie et les tribus de cette partie du pays somâli, qui est encore une des régions inconnues de l’Afrique. Ces renseignements, transmis en Allemagne, ont été, comme d’habitude, immédiatement publiés dans le précieux recueil géographique de Gotha.

M. Brenner ne bornait pas là ses plans d’exploration. De retour à Zanzibar au mois de février 1867, il s’y prépara à une longue excursion dans l’intérieur, et il ne tarda pas à réaliser son projet. Ses lettres, à cette époque, vont jusqu’au mois d’août. Il avait déjà reconnu, sur une partie de leur parcours, la Dana et l’Osi, deux rivières qui descendent des montagnes situées à la distance de dix à douze journées de la côte, et qui arrivent à la mer entre le troisième et le quatrième degré de latitude australe ; après ces premières reconnaissances il avait le dessein de s’aventurer jusqu’à Berderah, le lieu même où l’infortuné Decken avait trouvé la mort. Un silence de huit mois depuis ses dernières lettres avait fait naître de légitimes inquiétudes ; un télégramme reçu il y a quelques jours seulement les a enfin calmées. L’intrépide voyageur était de retour à Zanzibar depuis le mois de février (1868). Il avait poussé ses explorations entre la rivière Dana et le Djob supérieur, c’est-à-dire au cœur même du pays des Somâl, et il annonce de nombreuses informations sur les rivières de l’Afrique équatoriale, ainsi que sur les Somâl et les Gallas.

Ces bonnes nouvelles ne sont malheureusement pas sans mélange. Kinzelbach, qui avait aussi le projet de s’avancer dans l’intérieur, mais que les circonstances avaient retenu à la côte, est mort entre le 20 et le 26 janvier de cette année dans la maison du sultan de Djillédi, petite ville somâli à quatre heures de Makdichou (près de deux degrés au nord de l’équateur). Encore un nom qui va grossir la liste déjà si nombreuse des victimes du climat africain.


VI


Je me suis d’autant plus volontiers arrêté sur ces premières explorations des parties du littoral africain qui touchent à l’équateur, qu’elles ouvrent une des voies par lesquelles on entamera tôt ou tard une région de l’Afrique absolument inexplorée, et qui offre cependant un intérêt tout particulier, non-seulement un intérêt géographique, mais aussi et surtout au point de vue de l’ethnographie. Je veux parler de la contrée des Gallas, race nombreuse dont les tribus occupent, au sud et au sud-est de l’Abyssinie, un pays qui peut bien avoir deux fois l’étendue de la France. Les Somâl, dans la large corne que l’Afrique orientale projette vis-à-vis de l’Arabie, sont une branche des Gallas. Ceux-ci ne sont guère connus jusqu’à présent que par leurs incursions en Abyssinie, et le portrait que les anciens missionnaires portugais en ont tracé se ressent de la terreur qu’ils inspiraient. Les Gallas n’ont rien de commun avec les Nègres. Par la chevelure, les traits et la couleur, c’est une race blanche. En même temps que la noblesse relative des traits, ils ont les aptitudes d’amélioration intellectuelle que la nature n’a départies aux noirs que dans des proportions infiniment moindres. Ils n’en mènent pas moins, comme les anciens Numides, une vie toute pastorale, et ils ont la barbarie des peuples nomades. C’est une race à conquérir par le christianisme.

L’étude de ce grand centre de population galla est à peine abordée, et déjà l’on y peut entrevoir des échappées d’une portée incalculable. Soit que le regard se dirige au nord et au nord-ouest dans la vallée du Nil et vers la région de l’Atlas, ou au sud à travers le Plateau de l’Afrique australe, ou à l’ouest dans toute la longueur de la zone équatoriale, on voit rayonner dans toutes ces directions, plus ou moins nettement selon que les contrées nous sont plus ou moins connues, des populations qui se rattachent à ce que par opposition à la race nègre on peut nommer la race blanche africaine. La où elle ne s’est pas conservée pure, elle a formé par son contact avec les noirs des groupes de populations mixtes, que l’on a très-heureusement désignées sous le nom de Négroïdes. L’Afrique australe compte beaucoup plus de Negroïdes que de Nègres purs. La zone équatoriale, au contraire, — et ce n’est pas là un des phénomènes les moins singuliers de l’ethnologie africaine, — cette zone que l’on a crue si longtemps absolument inhabitable à cause de l’extrême chaleur, est précisément, autant que nous en pouvons juger par ce que nous en connaissons, une des parties du continent où la race blanche africaine a conservé ses traits essentiels. Un peuple nomade qui de proche en proche s’est étendu à l’ouest jusqu’au golfe de Benin et aux approches du Gabon, les Fân, présente dans sa configuration les traits caractéristiques de la race caucasique : le teint clair, la chevelure longue et douce, le profil européen.

On peut juger par là de l’intérêt que doit offrir la complète exploration de cette large ceinture, encore en blanc sur nos cartes, qui court parallèlement aux deux côtés de l’équateur depuis la mer des Indes jusqu’au golfe de Benin et au Gabon. C’est aussi dans cette zone que se trouve le dernier mot d’un problème ouvert depuis des siècles à la curiosité des peuples, la découverte des sources du Nil. Aussi avons-nous les yeux tournés dans une fiévreuse attente sur les progrès de notre compatriote Le Saint, qui a quitté Paris au commencement de janvier 1867, sous les auspices de