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REVUE GÉOGRAPHIQUE,

1868
(PREMIER SEMESTRE)
PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTIN.
TEXTE INÉDIT.




Livingstone. Sa mort démentie. Premiers détails. Espoir et attente. — Les autres explorateurs de l’Afrique. Karl Mauch au sud du Zambézi. Richard Brenner dans le pays des Somâl. Le Saint dans la région des sources du Nil. La contrée des Gallas, un des grands desiderata de la géographie africaine et de l’ethnographie. — L’expédition anglaise en Abyssinie. — Coup d’œil sur l’extrême Asie. Le Japon. La Cochinchine française. L’expédition du Mé-kong. — Expéditions polaires. Les entreprises scientifiques, une des gloires de notre époque. Quelle nation portera la première son drapeau sous le Pôle ? l’Allemagne, l’Angleterre ou la France ? — M. Gustave Lambert. — À quoi bon aller au Pôle ?


I


Les alternatives extrêmes de rumeurs sinistres et de nouvelles rassuirantes n’auront pas manqué au voyage de Livingstone, le grand explorateur de l’Afrique australe.

Nous avons à peine besoin de rappeler qu’après deux voyages antérieurs qui avaient immensément ajouté à nos connaissances positives sur l’Afrique australe, le docteur David Livingstone entreprit en 1865 une troisième expédition, dans laquelle il se proposait tout à la fois de compléter ses propres découvertes en reprenant l’exploration inachevée de la moitié supérieure du Nyassa ou lac Maravi, qui se déverse par la rivière Chiré dans le Zambézi inférieur, et de les relier avec celles de Burton et Speke en explorant l’intervalle encore inconnu de cinq à six degrés qui sépare, dans une direction nord-ouest, le lac Maravi du lac Tanganîka. Il était important aussi de constater, par des reconnaissances directes, l’ensemble du système hydrographique du Tanganîka (ce que Burton ni Speke n’avaient pu faire en 1858), et particulièrement de vérifier si ce grand lac central se relie par une communication directe, comme on l’a supposé, aux lacs équatoriaux vus par Speke et par Baker, et s’il se rattache ainsi au bassin du Nil. Il y a là encore, dans toutes ces parties intérieures, bien des découvertes à faire et d’immenses lacunes à combler, et nul n’était mieux préparé que Livingstone à entrer dans ce nouveau champ d’investigations.

Au commencement de 1866 il arrivait à la côte orientale d’Afrique, vers l’embouchure d’une rivière appelée la Rovouma qui a son origine dans la direction du lac Maravi, et qui se jette dans la mer des Indes à quatre degrés environ au sud de Zanzibar, un peu en deçà du onzième degré de latitude australe. Livingstone était accompagné d’une assez nombreuse escorte de porteurs et d’hommes armés, et, entre autres, d’une dizaine d’insulaires de Johanna (plus correctement Anjouan, une des Comores), sous la conduite d’un cet-tain Ali Mousa. Il se proposait, ce qu’il fit en effet, de remonter la Rovouma aussi haut que possible, et de là de gagner directement la Nyassa-Maravi[1], premier but de son voyage. Le 18 mai il était à Ngomano, sur le haut de la rivière, à trois degrés environ de la côte, près d’un chef qui l’avait parfaitement accueilli ; c’est de là que sont datées ses dernières lettres. À partir de Ngomano, le silence se fait et l’on perd les traces du voyageur. Sept mois s’écoulèrent ainsi sans que l’on en conçût d’ailleurs aucune inquiétude, sachant bien qu’une fois entré dans l’intérieur on n’a plus avec la côte que des communications incertaines et rares, et l’expérience consommée du voyageur, jointe à sa prudence bien connue, inspirant toute sécurité. Mais le 6 décembre 1866 le bruit d’une catastrophe se répand dans Zanzibar. Ce fut un coup de foudre. Les Johannais de l’escorte de Livingstone, avec leur chef Ali Mousa, arrivaient de l’intérieur par Quiloa, apportant la funèbre nouvelle de la mort du voyageur. Les détails étaient précis. Livingstone, après avoir quitté Ngomano, venait de traverser le Maravi dans sa partie du nord, lorsqu’il fut assailli à l’improviste par une troupe de Mazitous comme il se trouvait en avant du gros de ses hommes ; abattu d’un coup de hache, il tomba pour ne plus se relever. Les Johannais affirmaient l’avoir trouvé mort lorsqu’ils étaient arrivés sur le lieu du combat, et lui avoir creusé une fosse où ils le déposèrent. L’assassinat avait été commis non loin d’un lieu appelé Mapounda, à peu de distance du lac. La triste nouvelle, immédiatement transmise par le consul d’Angleterre, arriva à Londres dans le courant de mars 1867.

Il était difficile de n’y pas ajouter foi. Cependant le président de la Géographical Society, sir Roderick Murchison, frappé de certaines invraisemblances dans le récit des Johannais, avait conçu quelques doutes ; tout

  1. Nyassa, qui se prononce aussi Nyanza, est un terme générique dont l’usage s’étend du bas Zambézi à l’équateur, avec le sens de lac ou grande eau.