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À force de les rencontrer chaque jour comme les ornements d’un tableau trop saisissant pour qu’on descende à l’analyse, à force de passer sous ces arcs et de les voir, on oublie presque de les regarder. Quelle merveille encore que le moindre des trois ! C’est celui de Septime-Sévère, qui marque l’ancien niveau du Forum au pied des marches du temple de la Concorde. Il était surmonté d’un char à six chevaux où l’on voyait l’empereur assis entre ses deux fils. Au front du bâtiment, une longue et belle inscription en raconte la dédicace, document doublement célèbre depuis que Caracalla, ayant assassiné Geta son frère, fit rayer son nom et tout ce qui le concernait. Le marbre martelé, creusé, mal repoli, les caractères nouveaux entaillés après coup, tout cela semble d’hier.

C’est pour célébrer les victoires de l’empereur sur les Parthes, sur les Arabes et autres peuples de l’Orient, qu’a été érigé cet arc triomphal à une époque où l’art avait dégénéré. On a tant proclamé cette décadence, que maint touriste passe avec dédain devant les bas-reliefs de la fin du second siècle. Ils n’ont plus la pureté de lignes, ni la pureté de style du temps des Flaviens ; mais en dépit d’une certaine lourdeur, on y démêle un caractère de réalité qui les rend expressifs. Les types de race observés avec une sagacité sincère sont à mes yeux plus intéressants que s’ils restituaient avec moins de naïveté, en se rapprochant mieux des formes hellénisées de la beauté antique, les visages, les attitudes, la conformation des populations de l’extrême Asie. Au soubassement d’une des quatre colonnes qui portent la corniche, il y a trois chefs captifs coiffés du bonnet phrygien, enchaînés, sauvages et pleins de honte qui, en dépit des injures du temps, m’ont paru très-beaux.

Ce que j’avais précédemment exploré, et avec une curiosité impatiente, c’est l’arc de Titus. Quel effet adorable produit, de trois à quatre points de vue différents, ce bel arc à une seule porte, élancé, robuste en son ensemble, exquis en son détail et qui, vu de loin, a pour ornement principal les grandes lettres de son inscription ! On la déchiffre sans peine du bout de la voie Sacrée, au culmen de laquelle se profile dans le ciel bleu cette noble bâtisse, toute en cubes énormes d’un marbre pentélique qui rougit aux feux du soleil, et que les ombres refroidissent d’un reflet glauque.

Pourquoi nos architectes qui établissent parfois en lettres étiques illisibles, comme à notre église de la Trinité, ou en caractères de boutique comme à l’Opéra, des inscriptions mensongères pour faire croire, par exemple, qu’un théâtre est une Académie où l’on fait des poëmes et ou l’on écrit des traités sur la danse, pourquoi nos édiles ne s’inspirent-ils pas des intelligentes et lisibles inscriptions de l’antiquité ? Plus nous remontons près du siècle d’Auguste, plus elles sont tracées en grandes lettres. Ces gens de haute raison avaient compris que l’œil doit trouver sa pleine satisfaction à tout ce qui lui est offert, et que les caractères d’écriture, arabesque parlante qui anime et meuble une surface, doivent être lus du point de recul où le monument sera contemplé dans son ensemble. Et que portaient-elles, ces inscriptions ? Elles contenaient la dédicace, l’histoire, et non l’enseigne oiseuse de l’édifice. Ils ont écrit sur l’attique de l’arc de Titus :

SENATVS
POPVLVSQ VEROMANVS
DIVOTITODIVIVESPASIANIF.
VESPASIANOAVGVSTO.

Sur l’autre face ils ont résumé dans un sommaire la prise de Jérusalem et la soumission de la Judée. Dix-sept cents ans et plus se sont écoulés depuis que Domitien a dédié cet arc triomphal à son frère et à leur père Vespasien. « Divo Tito » confirme que l’œuvre fut parachevée après la mort de Titus.

Avec ses quatre colonnes engagées d’ordre composite sur une mignonne architrave, avec sa simple frise qui porte une corniche si belle et le riche encadrement du cintre sur de larges impostes, avec sa clef de voûte et les victoires élancées qui planent sur l’un et l’autre tympan, l’arc de Titus, précieux par les matériaux autant que par le style rose et blanc de sa jeunesse éternelle et solidement assis sur l’antique dallage de la voie Sacrée, l’arc de Titus est un des purs joyaux du premier siècle.

L’âge si bien constaté de ce modèle a accrédité dans nos écoles d’architecture l’opinion que les arcs à trois portes sont postérieurs à ceux qui n’en ont qu’une et que cette dérogation à la primitive simplicité marque déjà une décadence. Un numismate expert m’a montré une médaille de la quatorzième année du règne d’Auguste, au revers de laquelle est gravé un arc triomphal à trois portes. Il serait aisé de multiplier ces exemples.

Sur l’inscription de l’arc de Titus qui regarde le Capitole on remarque, donné à Vespasien, le titre Pontifex Maximus dont les papes ont hérité : il prend, à l’arc de Titus, une mystique signification. En envoyant son fils détruire la ville et le temple de la Loi ancienne, le Souverain Pontife Vespasien accomplissait les prophéties de la sainte Écriture.

Cette notice lapidaire nous prouve aussi, vérité restituée par les bons et récents travaux de M. de Saulcy, que le dernier siècle a trop déprécié la valeur du peuple d’Israël : on fait honneur à Titus d’avoir « dompté la nation des Juifs et détruit la ville de Jérusalem, vainement attaquée ou assiégée avant lui par les généraux, les rois et les nations. »

La voussure de l’arcade est, dans son épaisseur, décorée de rosaces en saillie sur des caissons très-ornés formant des cadres à plusieurs moulures ; le tout cerné de ravissantes arabesques. Au-dessous de l’imposte, de grands bas-reliefs, morceaux précieux entre tous, représentent le cortége triomphal si bien connu par le curieux récit de l’historien Josèphe. On voit le vainqueur au milieu de ses troupes, debout sur un quadrige, en tunique triomphale, tenant d’une main une palme, de l’autre le sceptre, et couronné par une Vic-