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vieil amateur provincial de la secte bolonaise. Il m’avait fait tant admirer de confiance et par procuration l’Ève de Dominiquin, mais surtout l’Aurore de Guido Reni, qu’il me durait depuis l’enfance d’en avoir le cœur net.

Impitoyablement revenu des classiques séductions de Guide non moins que de celles de Domenico Zampieri, j’éprouvai cependant en contemplant sur l’original le plafond de l’Aurore, trop refroidi par le burin de Morghen, la sensation que produit une œuvre grande, traitée avec poésie et redevable d’un effet heureux à des partis pris de couleur pleins de franchise et de charme. Précédé d’un Génie qui porte dans les airs le flambeau du jour, Apollon sur son char s’élance dans le ciel en feu pour commencer sa journée. Il est suivi de Flore et entouré des Heures qui dansent à l’entour. Celles-ci, nourries sans épargne, sont bien un peu dodues : plût à Dieu qu’à ces visages pleins et réjouis elles fussent reconnues des pauvres et des malheureux ! Au bas du tableau, dans les lointains terrestres, la mer et ses rivages bleuâtres encore ne sont pas dégourdis des fraîches buées du matin. La composition est harmonieuse, la peinture claire et tranquille ; les draperies sont étudiées et les poses gracieuses. C’est le chef-d’œuvre plaisant d’un artiste froid d’ordinaire et dont nous allons rencontrer chez les Barberini le meilleur portrait, ou tout au moins le plus agréable.


La Fornarina, au palais Barberini, à Rome. — Dessin de Paquier d’après une ancienne gravure.

Quant à la Première faute de Dominiquin, c’est une donnée de Breughel de Velours, grandie par un Romain de Bologne qui sait son état : les grâces du sujet humanisent la magistrale habileté du peintre. Adam cueillant la pomme et Ève qui la reçoit accroupie sont d’attrayantes figures : la ménagerie distribuée dans un Éden inspiré de la campagne romaine anime un théâtre d’une riche fantaisie.

Bâti pour Scipion Borghèse, ce palais Rospigliosi fut acquis autrefois par Mazarin. Après la mort du cardinal-ministre on y plaça l’ambassade de France et elle ne l’a quitté qu’en 1704. Redescendons à la rue des Quattro Fontana.

Le vaste palais Barberini où trois générations d’architectes, Charles Maderne, Borromini et le Bernin, ont collaboré, est jeté en fausse équerre sur des jardins montueux dont les futaies ont vu passer toute la lignée des neveux d’Urbain VIII. Ces cultures en terrasses paraissent étranges, lorsque de l’entrée du vicolo Sterrato qui les limite au nord-est, on contemple la perspective qu’elles font à un petit couvent situé à l’extrémité. Ce n’est pourtant qu’une cascade de lianes vertes sur un vieux mur, avec une statue issant de ce fouillis d’où s’élance un pin trois fois séculaire. Cette rue dépavée, ce cloaque est d’un tel aspect et tout est si immuable à Rome, que vingt générations de peintres l’ont copié. Tel que je l’ai contemplé tant de fois, tel au retour me l’ont rendu le Piranèse et Panini.

Les maîtres actuels du palais Barberini en avaient cédé naguère le rez-de-chaussée à notre artillerie. Effet singulier des guerres courtoises de notre temps : un prince romain a sa demeure sur un quartier de cavalerie française ; on sonne la diane sous ses fenêtres, il peut se croire le mestre de camp de ces milices. Au reste, dès qu’on avait monté l’escalier de droite ou l’escalier de gauche, l’un de Borromini, imité du Bramante qui en a pris le modèle à San’ Nicoló de Pise, et l’autre du Bernin, on avait franchi une frontière : Rome se manifestait sur-le-champ par le caractère particulier de ses habitations seigneuriales. Le grand salon où l’on accède par deux escaliers d’honneur a pour plafond une immense machine de Pierre de Cortone, le Triomphe de la Gloire, capo d’opera comme savoir et comme savoir-faire, conception fourmillante qui échappe aux conditions de vraisemblance respectées jusque-là dans les plafonds. Sur les murs, un ancien tableau de mascarades romaines, infiniment curieux ; dans les pièces voisines, des portraits de famille et des bustes antiques. En guise de crédence ou de console, une madame Barberini d’autrefois, travestie en Diane galante et couchée, accomplit son dernier sommeil sur un énorme sarcophage antique. Des mausolées réhabités de la sorte deviennent ici meubles d’antichambre ou de salle à manger.

Quant à la galerie qui est située à un entre-sol bas, un de ses attraits est d’offrir le portrait original incontestable d’une femme aimée de Raphaël, et dont la tradition a fait une boulangère. Rome en possède cinq ou six copies ; elles sont inférieures à l’exemplaire signé de la villa Barberini. Elles démontrent que l’adorable brune de la tribuna des Offices à Florence n’est point cette amie du peintre dont le nom véritable était Marguerite, et qu’on appelle la Fornarina. Et je le regrette pour lui ; car la dame des Uffizi est plus belle que son sosie de Rome. Celle-ci, telle que la raconte le portrait des Barberini, est bien la distraction d’un artiste excédé de l’idéal et des créations éthérées. C’est une solide luronne en