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Dans ces architectures portées sur des arbres de granit ou d’albâtre, tout est percé à jour, tout s’épanouit dans les airs ; mais à ras du sol tout n’est que trappes, que passages obscurs, labyrinthes et mystère… Avec quelle anxiété on devait interroger ces défilés si proches, ces temples muets, ces portes de bronze menaçantes et sonores, lorsqu’en un de ces grands jours de guerres civiles où l’éloquence n’était qu’un appel à la force, où les toges cachaient des poignards, on écoutait devant les rostres un consul, un tribun qui, jouant sa tête et les destinées d’un empire, guettait anxieux l’instant où, de ces arcanes qui environnaient le Forum, viendraient et se ruer sur la tribune et le sénat des soldats apostés, suivis d’une population en furie !…

Ces saturnales de la démagogie romaine, exemple et fléau des nations modernes, se sont exercées là : depuis quinze cents ans le monde n’a pas détourné de ce coin de terrain ses passions ni ses pensées.

Telle qu’elle est devenue, cette nécropole où chaque inégalité du terrain offre le mystère d’un sépulcre est encore, je le répète, car on le sent jusqu’à en être écrasé, l’endroit le plus considérable du monde. Après s’y être oublié jusqu’à la nuit, tel qu’un écolier à son premier pèlerinage, on s’en revient avec une véronique bleue entre les feuillets de son album, et un petit morceau de marbre dans sa poche.




L’abbé insistait pour qu’on visitât Saint-Paul hors des murs, bien que cette basilique soit nouvellement reconstruite et perdue dans la campagne à près d’une lieue de la porte d’Ostie. Notre ami semblait attacher à cette course une sorte de convenance à laquelle il serait malséant de faillir. Un jour qu’il y revenait devant plusieurs personnes, je m’avisai de paraître étonné que dans l’état où se trouvaient déjà les finances pontificales
Pyramide de Cestius. — Dessin de E. Thérond d’après une photographie.
sous Léon XII, on eût sacrifié de si fortes sommes pour rebâtir loin des quartiers habités une église sans utilité pour le culte et d’un entretien fort onéreux.

Nul ne répondit : il s’établit autour de moi un silence plein de pudeur et je compris que je m’étais fait mettre en quarantaine comme atteint de l’épizootie militaire. Témoin de ce premier accès, le peintre Bénouville eut le courage de se rapprocher de moi pour me dire tout bas en passant vite : « Saint-Paul est une des sept Basiliques majeures… »

Puis l’abbé d’un ton contrit vint me jeter ces mots plus mystérieux : « C’est une des cinq !… »

Et comme l’autre, il s’éloigna.

Pour me relever d’une ignorance qui m’exposait à la honte de faire rougir le prochain, je m’attachai à résoudre cette question :

— Qu’est-ce au juste qu’une Basilique romaine ?

À force de m’enquérir et de compulser, je reconnus que personne, ou peu s’en faut, n’en sait rien, ce qui peut tenir à ce que chacun s’imagine le savoir. L’origine des basiliques, leur classement, leur rôle : voilà pourtant des notions non-seulement curieuses, mais indispensables pour apprécier des églises hiérarchisées depuis les temps primitifs de la foi.

Il est moins facile qu’on pourrait le croire de bien discerner les basiliques romaines et de les définir historiquement avec précision. Un dicton fort ancien signale dans Rome « autant d’églises que de jours dans l’année » : un dénombrement qui comprendrait les oratoires, les chapelles affectées aux associations pieuses, aux confréries des métiers et autres fondations charitables, donnerait un chiffre plus élevé, je n’en doute pas. Au-dessus de ces églises inférieures, se présentent les églises dites Nationales, desservies par des religieux appartenant aux diverses contrées ; puis les Paroisses.