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Suivons ce cortége avec la foule pour gagner, entre la basilique de Jules César et les trois piliers des Dioscures, la via Nova qui, confondue avec son homonyme du Palatin reconnue par Pietro Rosa, a beaucoup fait divaguer les commentateurs : nous verrons en passant des caissons admirables sous l’architrave des ruines que nous côtoyons.

Le Forum se terminait là. Entre son enceinte et le sommet de la Velia, revers septentrional du Palatin, se succédaient la maison des vestales et le temple de la déesse, avoisinés par l’habitation du roi des sacrifices et du grand pontife. Le long du coteau s’échelonnaient sur des terrasses fleuries quelques demeures enviées, telles que les maisons de Clodius et de Cicéron. Cette dernière, qui appartint ensuite à Censorinus, à Sisenna (Paterculus nous l’apprend), avait été primitivement bâtie par le tribun Livius Drusus, qui avait dit à l’architecte : « Disposez-la de telle sorte que ma vie soit au grand jour et mes actions sans mystère. »


Colonne de Phocas. — Dessin de E. Thérond d’après une photographie.

Tout au bas du Palatin, au fond et sur les côtés inférieurs du Forum comme le long de la voie Sacrée, s’alignaient des boutiques dont on exhume les restes dès qu’on donne un coup de pioche : on y ramasse encore des enseignes de marchands, gravées sur des carrés de marbre. J’en ai tenu une d’un de ces orfévres qui se sont succédé là des siècles, depuis le temps où Papirius Cursor leur avait distribué les boucliers d’or ciselés et les magnifiques armes des Samnites, afin qu’étalés devant les boutiques ces trophées fussent pour le Forum un ornement glorieux. La coutume depuis en fut suivie par les édiles.

En quelque endroit que l’on marche, on rencontre des souvenirs ; de quelque côté qu’on se tourne, la vue est intéressée par des monuments. Un peu en deçà de la colonne de Phocas, à droite de la voie Sacrée, ce terrain humide recouvre la fontaine Juturne où s’immola Curtius. C’est précisément là qu’était le milliarium aureum, et c’est sur ce pavé que fut massacré Galba par ses légionnaires furieux, qui emportèrent, en la tirant accrochée par la bouche, la tête chauve de leur empereur. Levez les yeux au delà du Forum en tournant le dos au Palatin : les murs antiques, les modillons, les stucs de la basilique Émilienne iront se perdre sous le portail de Saint-Adrien. Proche de la geôle de Tullius est Saint-Luc, autrefois Sainte-Martine ; entre Saint-Luc que Sixte-Quint a donné aux peintres et Saint-Cosme, voici San Lorenzo in Miranda qu’enserre dans ses bras le temple d’Antonin et de Faustine à demi enterré ; portique splendide et frise admirable, pour le temps surtout.

Lorsqu’on parcourt transversalement le Forum en se dirigeant vers l’arc de Septime-Sévère, on suit le chemin par où fut entraîné Vitellius, jusqu’à cet étroit escalier des gémonies par où l’on sortait les suppliciés de la prison Mamertine. C’est là qu’il fut égorgé.

On revoit çà et là des lambeaux du solide, épais et large dallage de l’antique voie Sacrée, en blocs de travertin cimentés à la pouzzolane : pavé indestructible où l’on pense avec raison que des pieds illustres se sont posés. En effet, depuis le temps ou les censeurs Flaccus et Posthumius Albinus ont fait paver Rome (173 ans avant J. C.), on s’est contenté d’entretenir ce système de dallage qui est resté le même.

Le Forum avec son cadre d’édifices, depuis les cimes du Capitole jusqu’à la basilique de Constantin, fut assurément dans un petit espace le lieu le plus imposant de l’univers : aussi la restauration de cette cité de monuments juchés les uns sur les autres, sous les versants de trois collines, est-elle le roman historique privilégié des architectes.

Il est certain que cette multitude de temples, de basiliques, de portiques entassés, superposés jusqu’aux nues et dessinant sur un ciel profond leurs profils blancs et roses, que ces forêts de colonnes de toutes les nuances, étagées de la basilique Julienne jusqu’au temple de Jupiter capitolin et laissant courir entre leurs futaies enflammées les rayons du soleil oblique, que ces voûtes profondes, que ces lacis de ruelles bleuâtres et ces architraves lumineuses sur le clair obscur des galeries, devaient produire un merveilleux effet sur les barbares de la Gaule, lorsqu’ils abordaient cet Olympe des divinités victorieuses.