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ROME,


PAR M. FRANCIS WEY[1].


1564-1868. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


II (suite).


Description du Forum Romanum (suite). — San Paolo fuori le mura. — Ce que c’est en réalité qu’une Basilique. — Origine et destination des basiliques de l’antiquité. — Appropriation des basiliques chrétiennes. — Hiérarchie des églises de Rome. — Souvenir à la construction d’Honorius : vestiges échappés aux flammes. — Arc de Placidia. — Ciborium d’Arnolfo, etc… — Cloître de Saint-Paul. — Légendes du chemin : l’échelle de Saint-Bernard, les Trois-Fontaines. — Pyramide de Cestius. — Pont d’Horatius Coclès. — Promenade au Colisée.

Vers le haut de cette nécropole, la voie Sacrée se bifurque et l’embranchement de droite aboutit au portique des Douze Dieux, de ces Dii Consentii qui devaient être consultés avant toute affaire grave. Ennius nous en a conservé les noms ; c’étaient : Vesta, Jupiter, Junon, Neptune, Vénus, Mars, Minerve, Cérès, Apollon, Diane, Mercure et Vulcain. On les avait logés dans douze chapelles ornées de statues que saint Augustin croyait douées d’un pouvoir, et où il supposait que les prêtres, par une vertu magique, étaient en possession d’incarner des démons. Le culte de ces dieux a duré jusqu’à la fin du paganisme ; car le portique dont Pie IX a relevé les débris est du quatrième siècle. Sur douze sanctuaires il en reste sept, adossés à la rampe moderne du Capitole ; au fond des chapelles apparaissent les assises inférieures du temple de Jupiter Tonnant élevé par Auguste après un violent orage. J’inclinerais à penser avec Canina que les cinq autres cellules doivent exister sous la rampe.

Les deux ruines importantes de cette extrémité du Vulcanal sont : le temple de Vespasien, réduit à trois colonnes cannelées reliées à un entablement dont la frise est ornée d’une arabesque riche, mais exécutée avec une minutie maigre ; restauration du temps de Septime ou de Caracalla. Puis tout auprès, sur l’autre rive de la voie Sacrée, le temple de la Fortune, ou de Juno Moneta, ou de Saturne : les attributions ne lui ont pas manqué. Quelques archéologues l’ont confondu avec celui de Vespasien ; d’autres l’avaient étourdiment dédié à la Concorde : ils avaient bien mal étudié Cicéron.

Quoi qu’il en soit, ce temple sujet à changer de patrons a été refait en partie sous Maxence, qui très-probablement le consacra à la Fortune, ainsi que Nardini l’établit tant bien que mal. On rebâtissait dix fois sur les mêmes fondations. Celui d’entre ces monuments dont l’attribution est le mieux justifiée, c’est le temple de Vespasien, que j’ai nommé le premier. On sait que cet empereur érigea ce monument afin d’avoir un prétexte pour murer sous le Tabularium une entrée du Capitole par où Sabinus avait pu l’envahir. Or la porte murée qui se voit encore de ce côté confirme l’assertion que nous préférons ici.

Quant au temple tardif de la Fortune, évidemment il a remplacé au quatrième siècle des édifices antérieurs : c’est un monument rajusté, rapiécé, dont les colonnes sont disparates, dont les frises se décomposent en fragments interrompus d’arabesques. Son périmètre doit marquer la place où se trouvait antérieurement l’Ærarium, dans un temple de Saturne qui depuis a changé d’attribution ou qui fut une première fois rebâti en l’honneur de Junon, de Junon qui admoneste ou Juno Moneta. « In æde Monetæ, » écrit Tite-Live, en nous apprenant que sous la république on y gardait les annales anciennes et les livres sur toile qui contenaient le dépôt des lois.

De ces trois temples successifs il reste le périmètre porté sur un terrassement bas, une portion du dallage, quelques revêtements inférieurs et huit colonnes debout, désassorties, avec un énorme entablement porté sur des chapiteaux ioniques ; la frise richement décorée retrace deux périodes bien distinctes : le style du premier siècle et la décadence. La direction de l’édifice est indiquée par les colonnes du portique ; son ancienne affectation est fixée par une foule de passages des anciens historiens. On arriverait donc à déterminer à peu près la place où, après Marius, après Sylla, après la plupart des maîtres de la république, Jules César se présenta pour mettre la main sur le trésor. C’est là, sur les marches de ce portique, qu’ayant menacé de tuer le tribun Metellus, il dit avec une effrayante tranquillité à ce magistrat inviolable : « Ignores-tu, jeune homme, qu’il m’est plus aisé de le faire que de le dire ? »

L’emplacement rappelle bien d’autres souvenirs. C’est sur ce versant capitolin qu’était située la maison dont le peuple fit présent à Marcus Manlius après qu’il eut sauvé la citadelle, des Gaulois qui l’escaladaient. Bientôt, accusé d’aspirer à la royauté, Manlius Capitolinus fut trois fois mis en jugement sans qu’il fût possible d’arracher au peuple la condamnation d’un héros qui pour sa défense attestait Jupiter, et montrait ce Capitole sauvé par son courage. Alors les sénateurs l’assignèrent hors de la porte Nomentane,

  1. Suite. — Voy. page 353.