qu’en me répétant intérieurement avec une stupeur satisfaite : « Je suis à Rome ! »
La persistance de cette constatation me fit reconnaître qu’en dépit des prohibitions systématiques, javais été plus curieux de ce voyage que je ne me l’étais avoué.
Mon compagnon cependant qui connaissait, en ce pays surtout, l’importance des impressions premières, et qui savait combien on peut perdre de temps avant de se relever de la période de critique mesquine si l’on a mal débuté, tenait à m’attacher dès ce prélude et à précipiter l’initiation. Ceux-là seuls comprendront bien ces lignes qui, non-seulement ont visité Rome, mais qui l’ont suffisamment habitée pour en subir le prestige.
Mon mentor sentit qu’il ne fallait point rester sur une déception, et que l’étude d’une œuvre pure serait un antidote. Il m’avait rapproché, par un lacet de ruelles, du Panthéon d’Agrippa, où il me fit entrer sans préparation. Ce beau portique m’apparut dans toute la solidité originale et hardie de son caractère romain, avec d’autant plus de netteté que j’arrivais des temples grecs de Pœstum. Je contemplai ce monument élevé à l’aurore du siècle d’Auguste ; je sortis, je tournai alentour, je le considérai du fond de la place ; j’y revins encore, ne me lassant pas d’examiner un échantillon si précieux de l’art de bâtir à la fin de la République, durant cette période d’idéale pureté, si fugitive que, dès le milieu du règne suivant, le plat Velleius Patercule, malgré sa honteuse admiration pour Tibère, constate la décadence formelle des lettres et des arts.
C’est là, je le reconnus tout d’abord, que Vasari a pris le modèle de ses chapelles sur frontons triangulaires avec deux colonnes sous un entablement, disposition romaine dont il a tant abusé et qui, adoptée partout, a défiguré tant de vieilles églises dans la plupart
Fontaine du Triton. — Dessin de E. Thérond d’après une photographie.
des États catholiques. Elle fournissait une série de grands espaces à mettre des tableaux, et chez Vasari, le peintre avait une part intéressée aux plans de l’architecte.
C’est avec un intérêt plus vif que, dès ce premier aperçu de l’art antique, j’eus l’occasion de constater la part énorme que dans un monument classique et sévère un architecte du grand siècle, quarante ans avant la mort d’Auguste, accordait au sentiment personnel, à l’idée originale et, comme nous dirions aujourd’hui, à la fantaisie ou au caprice.
Pour s’en rendre compte plus promptement, il faudrait n’entrer dans cette rotonde où Boniface IV, en 608, remplaça les dieux par les martyrs et où Grégoire IV, en 830, institua la fête de tous les saints, il faudrait, dis-je, n’y entrer qu’après avoir considéré, du portail de la Minerve, la calotte raplatie et surbaissée de la coupole du Panthéon. Lorsque ensuite on pénétrerait dans l’édifice, éclairé, par un trou circulaire ménagé au faîte, on serait bien plus surpris de trouver un dôme d’une apparente sphéricité beaucoup plus profonde. C’est au moyen d’un artifice ingénieux que le constructeur est parvenu à donner ces illusions. Il a semé la voûte de quatre rangées de caissons pratiqués en creux et superposés en perspective forcée, de la base au sommet de l’hémisphère où ils rayonnent. De plus, il a étagé dans chacun de ces compartiments carrés quatre moulures s’enfonçant les unes dans les autres, et au lieu de les disposer régulièrement, il a rendu les côtés graduellement inégaux à mesure que les caissons s’élèvent, de manière à tromper le spectateur. En d’autres termes, il a adopté le seul genre d’ornement qui, trop simple, trop géométrique pour éveiller la défiance, pouvait résoudre le problème de creuser, pour l’œil seulement, une voûte très-surbaissée, et de la creuser jusqu’à la profondeur