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repose sur le droit et la justice. La Valachie et la Moldavie sont définitivement unies sous le nom de Roumanie, avec la sanction des grandes puissances de l’Europe. Le prince Charles Ier de Hohenzolhern-Sigmaringen y règne par droit d’élection en vertu d’une constitution votée par l’Assemblée nationale. Quoiqu’on ne puisse encore considérer comme réalisées toutes ses réformes, la faute n’en est pas aux Roumains d’aujourd’hui.

Un décret, un plébiscite, issus de la tête autocratique d’un César, ou des délibérations d’une assemblée libre, ne suffisent pas pour effacer dans la conscience et sur le front d’un peuple les souillures empreintes par deux mille ans d’esclavage. Il est plus facile, certes, de noter, de blâmer les écarts, les défaillances, les erreurs des Roumains, que de trouver aux jours actuels, sur la carte du globe, une autre agglomération de six millions d’hommes secouant, comme celle-ci, la poussière putride dont vingt siècles d’oppression, d’invasions et de barbarie l’avaient couverte, pour aller hardiment rattacher son berceau, ses traditions et son drapeau à une des plus grandes époques de l’histoire.

Baïa-de-Arama. — Dessin de Lancelot.

Le fait accompli le plus considérable, c’est la concession en toute propriété aux six cent mille familles de corvéables, de la part de terre qu’elles cultivaient sur les domaines des boyards. C’est la constitution du tiers état, qui hier n’était rien et qui bientôt sera tout ; surtout si la noblesse, dont les droits mal acquis se meurent du mal caduc, ne sait pas prendre l’initiative des grandes entreprises industrielles et des grandes exploitations agricoles. Le paysan auquel on reprochait naguère sa paresse, son indolence, son incurie et sa répulsion à sortir des procédés routiniers, donne, depuis qu’il possède et qu’il s’appartient, l’exemple d’un grand sens pratique.

La constitution garantit à tous les Roumains l’égalité devant la loi, la liberté de conscience, la liberté de la presse et le droit de réunion ; elle déclare l’instruction obligatoire. Sur ces bases, un grand État pourrait glorieusement vivre, un petit État doit vite se régénérer. La France, l’Autriche, l’Angleterre, l’Italie, la Prusse, la Russie, ont signé et garanti ce contrat d’affranchissement, arraché à la Turquie, qui n’en reçoit pas moins de la Roumanie un tribut annuel de un million, en vertu de droits douteux, qui périme d’ailleurs en vertu de celui des nationalités.

Ce n’est pas ici le lieu (ce n’est pas à moi surtout) d’examiner les mesures prises par le gouvernement pour assurer l’exercice des droits qu’il a proclamés. Le passé lui fait la tâche difficile, et longtemps encore il sera forcé d’user de moyens transitoires ; mais un de ses derniers actes relève du jugement de tous.

La récente persécution contre les juifs a douloureusement étonné l’Europe. C’est une injustice, une inconséquence et une faute. Doués du génie des entreprises, les juifs constituent un élément d’impulsion nécessaire dans la nation roumaine ; car seuls ils savent considérer l’argent comme un instrument de travail (le paysan thésaurise, le boyard dépense à l’étranger) ; ils avaient déjà sollicité des concessions de routes, d’éclairage, de pavage, qui restent pendantes devant la persécution. D’ailleurs, l’intolérance religieuse n’a jamais profité à aucun gouvernement, à aucun peuple.

Il faut que les hommes qui, à un titre quelconque, ont pris la responsabilité de l’éducation de la Roumanie se rappellent, avant tout, que l’écusson de leur patrie porte pour exergue : Nihil sine Deo ! Et ce Dieu, n’est-ce pas celui qu’invoquait, en 1848, le peuple roumain, sortant, comme Lazare, du fond de son tombeau ?

Lancelot.

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