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certaines laides maladies dont on se cache moins ici que partout ailleurs. Les malades étaient peu nombreux lors de notre visite et appartenaient surtout aux classes les plus nécessiteuses.

J’aime à croire que c’est à l’état de pénurie momentané du monastère qu’ils devaient de camper sous les hangars et jusque dans les cours sur la paille, pèle-mêle avec les chevaux et les bœufs qui les avaient amenés, et qu’en des temps plus heureux l’hospitalité leur accorde davantage.

Un jeune fratre (novice) guida notre excursion dans la campagne. Il était, nous dit-on, fort versé dans les traditions romaines ; « la piétra lui Traïane » (la pierre de Trajan) située sur la rive opposée de l’Olto (l’Aluta des Romains) fut tout d’abord notre but.

L’Olto, qu’il nous fit traverser sur une frêle barque ressemblant à une pirogue indienne, peut avoir environ cinquante mètres de largeur ; ses eaux, tranquilles sur les bords, sont profondes dans le milieu du courant, où de gros blocs de rochers tombés de la montagne et ramassés par les crues les tourmentent et les enflent en courants torrentueux.

Ces eaux bruyantes, les énormes galets qu’elles roulent, les masses granitiques qui encadrent leurs rives et sur les versants desquelles s’étagent des forêts touffues, que dominent d’immenses blocs dénudés d’une belle roche grisâtre et violacée qui semblent coulés tout d’une pièce, composent à chaque pas des sites admirables et se montrant à chaque pas aussi plus tristes et plus désolés.

La pierre Trajane, à Cosia. — Dessin de Lancelot.

La pierre de Trajan est un énorme bloc qui s’avance dans la rivière et l’obstrue dans le tiers au moins de sa largeur ; elle est, elle était plutôt, le premier degré d’une immense falaise qui s’élève à pic à une hauteur de cent cinquante mètres et se termine par plusieurs plates-formes inégales, sur l’une desquelles Trajan avait fait bâtir une forte tour dont il ne reste que des vestiges douteux. La pierre Trajane fut séparée de la masse pour livrer passage à la grande voie romaine dont on reconnaît presque intacts les grands nivellements et les larges dalles pentagonales rapportées.

Entre les deux blocs, le passage mesure cinq à six mètres. Un escalier à double montée formant un perron de six grandes marches se continue irrégulièrement jusqu’au sommet de la pierre de Trajan nivelée en terrasse et abritée par un bouquet d’arbres poussé dans un amas de rochers éboulés.

En face, sur l’autre rive de l’Olto, s’élève par quatre masses bien graduées un autre promontoire aux anfractuosités verdoyantes, dont les roches supérieures affectent les formes d’un vieux burg ruiné des bords du Rhin. Ce site ressemble aux plus beaux des bords du Danube. L’Olto y coule avec une impétuosité et un bruit qui rappellent les puissantes colères du grand fleuve.

La tradition, c’est notre guide qui nous le dit, raconte que de cette plate-forme appelée aujourd’hui pierre Trajane et sur laquelle on avait dressé sa tente, Trajan assista à un défilé de ses légions. Ce fait, qui