Page:Le Tour du monde - 17.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commission de paix dut se résigner à rentrer à Washington sans avoir rien conclu avec les tribus du nord, après avoir si bien réussi avec toutes celles du sud.


III

LA QUESTION INDIENNE.


Situation actuelle des sauvages. — Conduite des blancs. — Les réserves et le travail du sol. — La race rouge. — Chiffre de population. — Habitudes communes. — Langues. — Confinement des Indiens. — Qu’arrivera-t-il de ce peuple ? — Guerre terrible, s’il ne se soumet pas.

Le grand pow-wow du fort Laramie définit d’une façon nette et claire la situation actuelle des Peaux-Rouges vis-à-vis des blancs. Ceux-ci ont reconnu de tout temps les droits de la race indienne à la possession du sol ; mais de tout temps aussi, pour obéir à cette loi fatale qui pousse les colons vers l’ouest, ils ont dû déposséder les Indiens de ces prairies que le sauvage aime tant. Sans doute des traités ont consacré, légitimé cette dépossession, et le prix de la terre a été payé à l’Indien en cadeaux et en argent ; mais on pourrait dire de quelle façon les agents des États-Unis volent ces cadeaux au passage. Au besoin il serait facile de citer des noms et de nombrer les fortunes que certains agents, confinés dans le Far-West, ont faites en très-peu d’années. Cependant ils sont à peine rétribués, puisqu’ils reçoivent seulement mille à quinze cents piastres par an, soit de cinq à huit mille francs au plus, dans ce pays où tout fait défaut, où la vie est si chère. Au lieu de réclamer au gouvernement central une paye mieux établie, ils préfèrent voler l’État et voler en même temps l’Indien. Quand les cadeaux arrivent jusqu’au Peau-Rouge, c’est qu’ils ont été la plupart du temps choisis de telle sorte qu’ils sont à peu près sans emploi, ou composés de marchandises tout à fait avariées. Le Peau-Rouge a-t-il raison de se plaindre et souvent de se venger de pareilles indignités ?

Mais ce n’est là qu’une première cause de lutte sourde entre le sauvage indigène et le blanc immigrant. On dit au Peau-Rouge : « La colonisation nous pousse vers l’Extrême Ouest, où nous nous avançons chaque jour davantage ; il nous faut une partie de vos terres et vous resterez dans l’autre, dont les limites seront rigoureusement tracées. Là vous pourrez cultiver le sol. » À quoi le Peau-Rouge, on l’a vu, répond avec colère que les Prairies sont à lui, qu’il est né pour chasser le buffle et que le travail de la terre qu’on lui conseille n’est point son fait. C’est une tradition qui a cours parmi les Indiens que leur race disparaîtra quand il n’y aura plus de buffle. Aussi quand on veut les confiner dans des réserves en les menaçant de les y contraindre par force, quelques-uns répondent-ils : « Nous aimons mieux mourir d’une balle que de mourir de faim. » Toutefois, on aurait tort de croire que tous les Indiens sont aussi rebelles au confinement. On a vu que l’Ours-Agile allait cet hiver mener la charrue avec ses hommes. Cheval-Alezan, l’Arrapahoe, demandait aux commissaires de l’Union, dans son dernier discours, de lui bâtir une ferme près de la Plate. On sait aussi que les cinq grandes nations du Sud ont accepté les réserves qu’on leur a récemment indiquées ; mais en retour on se rappelle avec quel dédain les Corbeaux ont répondu à la proposition des commissaires de se confiner dans une partie de leur territoire et d’y cultiver le sol. La plupart des bandes dans lesquelles se subdivise la grande nation des Sioux partagent l’horreur des Corbeaux pour les travaux paisibles de l’agriculture. Les jeunes Peaux-Rouges, les guerriers adolescents, se font surtout remarquer par cette opposition aux vues des blancs : « Nous voulons bien, disent les vieux chefs, les anciens des tribus, dans les conseils tenus avec les commissaires de l’Union, nous voulons bien aller dans des réserves et vivre en paix avec vous, mais nous ne pouvons répondre de nos jeunes hommes. »

C’est une singulière race que celle des Peaux-Rouges à laquelle la nature a si généreusement départi le plus beau sol qui existe au monde, sol de riches alluvions, épais et plat, bien arrosé ; et cependant cette race n’est pas encore sortie de l’étape primitive qu’a dû partout parcourir l’humanité au début de son évolution, celle de peuple chasseur, nomade, celle de l’âge de pierre ! Les Indiens, si les blancs ne leur avaient pas apporté le fer, auraient encore des armes de silex, comme l’homme antédiluvien, qui s’abritait dans des cavernes, et fut en Europe contemporain du mammouth. Les Indiens fuient le travail, hors la chasse et la guerre ; chez eux la femme fait toute la besogne. Quel contraste avec la race qui les entoure, si travailleuse, si occupée, et où l’on a pour la femme un si profond respect ! Cette race les enserre, les enveloppe entièrement aujourd’hui, et c’en est fait des Peaux-Rouges s’ils ne consentent à rentrer dans les réserves.

Et encore, dans ces réserves, l’industrie et les arts naîtront-ils ? On sait combien la race rouge est mal douée pour la musique et pour le chant. Chez elle les beaux-arts sont restés dans l’enfance. L’écriture, si ce n’est une grossière représentation pictographique, est {{{2}}} inconnue. On sait à peine, avec des perles, tracer quelques dessins sur des peaux. Sans doute ces dessins sont souvent heureusement groupés et les couleurs s’y lient dans une certaine harmonie, mais c’est tout. L’industrie, à part une grossière préparation des viandes et le tannage des peaux et des fourrures, est également tout à fait nulle. L’Indien est moins avancé que le nègre africain, qui sait au moins tisser et teindre les étoffes. Les Navajoes sont les seuls Peaux-Rouges qui fabriquent quelques couvertures avec la laine.

On peut estimer à cent mille environ les Indiens libres des Prairies disséminés entre le Missouri et les montagnes Rocheuses. Le nombre de tous les Indiens de l’Amérique du Nord, de l’Atlantique au Pacifique, est estimé à quatre cent mille. Peut-être ces nombres sont-ils un peu plus faibles ; les statistiques, les recensements exacts manquent complétement. Les Indiens eux-mêmes ne donnent jamais que leur nombre de