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petite distance et vient fréquemment le rejoindre. Elle ne présente qu’une difficulté sérieuse : c’est le passage de deux marigots ; l’un près de Koria, l’autre, torrent très-rapide, le Galamagui[1], un peu avant Koundian.

Après avoir franchi ce torrent, on est presque de suite au village de Kabada. Là, notre guide, Racine Tall, nous dit qu’il allait nous quitter pour aller prévenir Diango de notre arrivée, et il nous conduisit à un autre village un peu à l’est de celui-là, nommé Bougara. Ce fut là, qu’après de longues heures d’attente, nous vîmes approcher Diango à la tête de trois compagnies de fantassins, devant lesquelles une centaine de cavaliers se livraient à la fantasia la plus brillante, tandis que le tabala battait lentement la marche. Cette marche se bat en frappant un coup sec suivi à long intervalle de deux coups rapprochés. Le tabala est, on le sait, une grande demi-sphère en bois, recouverte d’une peau de bœuf tendue et sur laquelle on frappe avec une pomme de caoutchouc du pays, emmanchée d’un manche flexible. Diango couvert d’un burnous rouge, coiffé d’un turban noir, montait un cheval mené en main par quatre esclaves à la tête et quatre à la queue ; un nombre considérable de marabouts[2] et de talibés le suivait.

Son accueil fut cordial, mais empreint d’une défiance dont je me rendis compte en apprenant que Sambala, le roi de Médine, venait d’envoyer piller un de leurs villages par son armée.

Sambala n’ignorait pas que j’étais en voyage ; il avait même prédit à mes hommes qu’avant Bafoulabé, nous serions tous morts, et c’était peut-être dans l’intention de nous susciter des obstacles qu’il avait fait cette expédition ; car Sambala, qui a eu sa famille massacrée en partie par El Hadj, qui a été assiégé par ce dernier, et qui nous a vus en guerre avec lui parce que nous soutenions les Khassonkés, ne peut accueillir favorablement nos tentatives de rapprochement avec le prophète ; rapprochement dont le premier résultat serait d’interdire toute razzia aux chefs intermédiaires et de leur enlever ainsi une source importante de revenus.

Néanmoins le témoignage du général Racine, auquel j’avais fait voir mes bagages, et la franchise de notre démarche qui nous livrait entre ses mains, triomphèrent de ses défiances, et Diango nous emmena coucher à Koundian.

J’y passai trois jours, puis je revins trouver mes hommes et nous prîmes de nouveau cette route, la seule praticable pour aller à Ségou.

J’étais convenu avec Diango qu’il me donnerait un guide pour me conduire à Ségou, en passant par une route directe et sans difficultés, en moins de quinze jours. C’est cette route que je vais décrire en partie.

Koundian est la quatrième station que j’aie déterminé en latitude astronomique et par la hauteur méridienne du soleil. Voici le résultat de ces observations :

Latitude observée. Longitude estimée.
Gouïna 14° 00′ 45″ nord 13° 30′ 14″ ouest
Bafoulabé 13° 48′ 27″ 13° 09′ 46″
Oualiha, camp 13° 39′ 53″ id.
Koundian 13° 08′ 57″ 12° 58′ 22″

La ville se compose de la forteresse et d’un village dont les cases sont en partie maçonnées, mais couvertes presque toutes en paille.

La forteresse est un carré régulier de 160 mètres de côté, flanqué de seize tours, dont deux contiennent des portes:l’une, située à l’est, sert à la circulation ; l’autre, située dans une des tours de l’ouest, est toujours fermée. Cette muraille a de huit à neuf mètres de haut, sur un mètre cinquante centimètres d’épaisseur à la base ; elle est en pierres maçonnées avec du pisé, et chaque année on la crépit en terre. Il ne nous a pas été permis d’en visiter l’intérieur ; mais elle contient, outre la maison d’El Hadj, dans laquelle il a une femme, et que gouverne Diango, l’habitation de la plupart des sofas (esclaves guerriers) et d’une partie des talibés. Tout alentour s’étend une plaine dans laquelle on ne pénètre que par quatre défilés bordés de hautes montagnes. Cette situation présenterait une grande difficulté, même à l’attaque de troupes régulières. Le pays est riche en mil et en or, mais il n’avait plus de bestiaux, car, à la suite de la guerre, il y a eu disette et l’on a tout mangé. Aussi le cadeau d’un bœuf que me fit Diango était-il princier.

En somme, Diango était un Malinké, et les instincts rapaces de sa race se décelaient à chaque instant. Je lui fis un cadeau, il en parut mécontent ; mais quand il vit que sa colère ne m’effrayait pas et que je le menaçais de son maître, lui disant qu’il pouvait prendre, mais que je ne donnerais pas, il devint petit garçon, et il m’extorqua petit à petit du sel en assez grande quantité, des pièces de guinée, etc., etc.

D’autres côtés, on venait m’obséder de demandes. Les griots et les griotes venaient faire de la musique et danser ; les chefs venaient mendier l’un un pantalon, l’autre un boubou ; les malades pleuvaient au docteur qui voyait s’épuiser sa pharmacie et qui tomba malade de fatigue. J’avais eu moi-même la fièvre à la suite d’un bain froid. Il fallait sortir de là. Je sommai donc Diango de me donner le guide promis et fis fixer l’heure du départ.

Le 9 janvier, Diango à cheval venait m’accompagner à petite distance, et en me quittant me remettait en signe d’amitié une petite boucle d’or, d’environ douze grammes (36 francs). Je lui donnai en ce moment et de bon cœur une calotte de velours brodé en soie et m’éloignai, heureux d’être débarrassé de tous ces mendiants et d’être enfin en route.

Diango m’avait assuré qu’il avait reçu des nouvelles d’El Hadj, depuis quelques jours ; il disait que je le trouverais à Ségou. Je voyais ma mission presque rem-

  1. Ce torrent, énorme dans les hautes eaux, est une défense de la place de Koundian. En 1857 l’armée d’El Hadj s’échappant de Médine, dut le traverser à la nage et plusieurs centaines d’hommes y périrent.
  2. Les marabouts sont les gens qui sont censés savoir l’arabe et lire le Coran.

    Les talibés sont leurs élèves, dont El Hadj a fait des soldats.