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Puisqu’il y avait traces d’hommes, leurs demeures ne devaient pas être loin : aussi, dès le 12 décembre, je fis partir Sidy avec Yssa à la recherche d’un village. Sidy était Khassonké et devait se trouver en pays de connaissances ou de parents ; je l’avais chargé de donner partout l’assurance de mes intentions pacifiques, de dire que je venais voir le pays, et au besoin commercer, mais que j’avais des forces suffisantes pour me faire respecter au besoin.

Pendant que ces messagers remplissent leur mission, je me reposais à Bafoulabé, où je n’étais pas installé sans un vif plaisir.

J’avais déjà abordé l’inconnu, je n’avais pas entamé mes marchandises, et j’avais parcouru quarante lieues de fleuve inexploré, enfin remonté ou franchi par terre trente barrages ou chutes d’eau.


Tentative d’exploration sur le Bakhoy. — Make-Dougou et son chef cupide. — Souvenir de Mongo-Park. — Les envoyés de Diango, chef de Koundian. — Voyage à Koundian. — Réception. — Soupçons. — Koundian, sa position, sa forteresse. — Départ. — Passage du Baling. — Marche vers l’est.

D’après les renseignements que j’avais pris, la route directe de Bafoulabé au Niger aurait dû suivre le Bakhoy, affluent du Niger qui vient le rejoindre en cet endroit, apportant ses eaux blanches (Ba eau, Khoy blanc), aux eaux limpides du Ba fing (Ba eau, fing bleu ou noir), d’où le nom de Bafoulabé, littéralement les deux rivières.

Je me dirigeai en canot de ce côté jusqu’à Maka-Dougou, petit hameau malinké, situé dans une île du fleuve au milieu de fertiles lougans. Le village véritable est Kalé, situé sur la rive gauche. J’étais rentré dans le Bambouk ; aux Pouls mêlés de Malinkés qui forment la population du Khasso, du Logo et du Natiaga, avaient succédé les Malinkés purs. M. Pascal, qui avait déjà, en 1859, fait une exploration dans le Bambouk, n’avait pas eu à s’en louer. Trente ans auparavant, leur cupidité avait fait échouer l’expédition du major Gray. Je n’étais pas sans quelques appréhensions sur l’accueil qui m’attendait. Aussi avais-je laissé mes bagages en arrière dans les broussailles, sous la garde de quelques hommes, et bien m’en prit. Nous fûmes d’abord très-bien reçus par Diadié, le chef du village qui, selon l’usage, nous logea chez son forgeron. Quand, après une nuit sous ce toit hospitalier, où nous fûmes dévorés de moustiques, nous voulûmes nous éloigner, nous eûmes à subir un quart d’heure de Rabelais, dont je me souviendrai longtemps. Mais je ne me laissai pas intimider, et je dis à ce brave homme de m’envoyer un de ses gens de confiance, que je lui ferais un cadeau, mais que j’étais venu les mains vides et que je n’avais rien à lui donner. Quand il vit que je ne m’émouvais pas plus que cela, il en prit son parti, rabattit de ses prétentions et nous nous quittâmes en bons termes.

Ce chef est le fils de celui qui reçut Mongo-Park, venant de Oualiha ; il s’en souvient encore, et me montra de l’autre côté du fleuve une montagne dont le célèbre voyageur avait fait l’ascension. J’y voulus faire un pèlerinage, et j’y montai par une pente très-rapide, comme toutes celles des montagnes de ce pays ; le sommet est un plateau très-peu accidenté, sur lequel la végétation est sensiblement la même que dans la plaine. J’apercevais de là le Bakhoy venant de l’est-sud-est, où il se perdait entre deux chaînes de montagnes qui ne paraissaient pas beaucoup plus élevées que celle où je me trouvais (quatre-vingts à cent mètres) ; vers l’ouest, je voyais un défilé qui conduit à Oualiha. En redescendant, nous prîmes un mauvais chemin, et bientôt nous fûmes obligés de descendre le long d’une muraille verticale, nous aidant des racines et des interstices des pierres. Je faillis m’y casser le cou, car une des pierres ayant cédé sous ma main, je restai suspendu par l’extrémité des doigts de la main gauche, et presque au même instant, le docteur fut en danger de tomber du haut de la montagne, par suite d’un accident douloureux et subit : en trébuchant, une paille lui était entrée dans l’œil. Le même soir, je rentrai à mon campement, bien décidé à ne pas n’aventurer sur cette route sans une protection sérieuse ; je savais que je devais être près d’un village soumis à El Hadj, et j’aimais mieux me remettre entre les mains de ses talibés que d’aller affronter de village en village la cupidité des Malinkés.

Je restai vingt jours à Bafoulabé, dressant le plan de la pointe, recherchant les matériaux de construction qui abondent à l’exception de la chaux. Pendant que je me livrais à ces travaux, je reçus une ambassade de Diango, chef à Koundian pour El Hadj, et qui me faisait sommer d’évacuer le pays de son maître si je n’étais pas venu pour le voir. C’était là ce que j’attendais ; j’avais enfin affaire aux Toucouleurs, et l’avenir de mon voyage allait se décider.

Je fis force questions et je finis par savoir que Koundian était une vraie forteresse du sein de laquelle une véritable armée commandait à tous les pays malinkés soumis à El Hadj, et pillait les autres à discrétion. Diango, le chef de ce point militaire, était un esclave d’El Hadj et ne demandait qu’à me bien accueillir.

Son envoyé se présentait fort bien ; c’était un Tall (famille Toucouleur de Torodos à laquelle appartient El Hadj Omar). Il n’avit pas plus de 1 mètre 60 centimètres de haut, était maigre et avait la figure énergique et cruelle ; longtemps employé chez un traitant de Podor, il était devenu général en chef de l’armée de Koundian. Son escorte comprenait six cavaliers montés sur de bons chevaux, quoique petits, et une trentaine d’hommes à pied.

Fidèle à mes habitudes de prudence, je lui offris de partir avec lui pour Koundian, mais de laisser mes bagages, disant qu’il était nécessaire que je m’entendisse avec Diango sur la route à suivre. Je remontai encore, en dépit de nombreux barrages, le Bafing en canot jusqu’à Oualiha, village malinké, près duquel je fis établir mon campement dans les broussailles et je partis avec le docteur et deux hommes.

La route de Oualiha à Koundian longe le fleuve à