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de plomb, de cuivre, de zinc, d’où il est très-difficile de l’extraire entièrement.

L’argent accompagne très-souvent l’or. Seul ou allié à ce dernier, il n’est jamais à l’état natif, mais toujours à l’état de sulfure, soit simple, soit multiple, ou à l’état de chlorure, iodure, bromure, etc. On le retire de ces minerais par des procédés particuliers.

Les premiers placers aurifères ont été bien vite épuisés ; mais tous les jours on en découvre de nouveaux. Lorsque nous quittâmes le Colorado, à la fin d’octobre 1867, il y avait une grande agitation à Denver au sujet de la découverte de terres aurifères très-riches que l’on venait de faire vers les sources de l’Arkansas. C’était au pied des montagnes, non loin des lacs Jumeaux, Twin-Lakes, qui forment en cet endroit un site des plus ravissants. Les mineurs, la figure hâlée, les grosses bottes aux jambes, les vêtements en lambeaux, étaient venus à Denver, la ville des affaires par excellence, et là ils avaient fait voir aux essayeurs, aux banquiers, aux exploitants de mines, et à tous les curieux, les merveilleux échantillons qu’ils avaient enfin trouvés, après plusieurs mois de recherches vaines. C’était une terre argileuse, un peu jaunâtre, qui tombait en poussière sous la pression des doigts. En la lavant dans une assiette, le propriétaire de Tremont-house, l’hôtel où nous étions logés, en avait tiré le quart en poids de poudre d’or, qu’il avait montrée à ses clients ébahis. La poudre étincelait au soleil sur le blanc de la porcelaine, et cette vue provoquait chez plus d’un l’ardent désir d’aller de nouveau tenter la fortune.

Ainsi vont les choses dans le Colorado et dans tous les territoires métallifères de l’Union. Jamais de découragement, de lassitude, et des recherches incessantes pour retrouver le lendemain ce que l’on a perdu la veille. Les lois les plus libérales viennent en aide aux mineurs, aux colons. Celui qui découvre un gîte métallifère, en est immédiatement propriétaire sur une certaine étendue. Il avise le recorder ou greffier de son district paye la taxe et tout est dit. De même pour la culture du sol. Chacun peut occuper un nombre donné d’acres (cent soixante acres ou soixante-quatre hectares) des terres vierges d’un territoire ; il paye une certaine somme au land office, ou bureau des terrains, et le voilà constitué à jamais propriétaire foncier. Ce sont ces mesures libérales qui ont fait la prospérité des lointains territoires de l’Union. On m’objecte qu’ici la terre n’est à personne, que l’espace est immense, et que partout l’on peut tailler, comme on dit, en plein drap. Je réponds que dans la plupart de nos colonies, où les mêmes faits se présentent, nous n’avons jamais obtenu les merveilleux succès des pionniers américains. Pourquoi ? Parce que les mesures administratives que nous avons toujours et partout adoptées n’ont jamais été inspirées que par des idées étroites, soupçonneuses, fiscales ; parce que chez nous la centralisation tue tout, et que les colonies, même les plus lointaines, doivent, avant d’agir, recevoir le mot d’ordre de la métropole. Aussi quel contraste ! Chez nos colons, l’indolence, l’inquiétude, l’insuccès ; chez les Américains, l’ardeur, l’activité fiévreuse, la réussite la plus étonnante.

Je reviens aux mines et aux mineurs du Colorado. Je ne m’appesantirai pas sur les systèmes d’exploitation en usage dans les placers ou sur les filons, je les ai déjà décrits ailleurs[1]. Je ne parlerai pas non plus de ces énergiques mineurs, anglais, irlandais, américains, canadiens, mexicains, français, qui ont importé dans le Colorado les traditions du travail souterrain ou du lavage des alluvions aurifères. Tels je les ai dépeints dans le temps, surtout à propos de la Californie, tels je les ai retrouvés dans le Colorado. Ici toutefois deux phénomènes nouveaux se présentent, qu’on n’a jamais observés ailleurs avec le même degré d’intensité : d’une part l’ardeur exceptionnelle que les exploitants ont apportée à la recherche et à la mise en valeur des gîtes, d’autre part les difficultés de tous genres que la nature particulière des minerais, surtout des minerais d’or, est venue inopinément apporter dans les procédés métallurgiques.

La recherche des filons s’est poursuivie dans le Colorado avec une véritable fièvre. Chacun a couvert les districts métallifères de lignes, réelles ou imaginaires, indiquant la prétendue direction des veines[2] ; dans ce monde inconnu et nouveau, chaque chercheur, aidé ou non de la boussole et des principes de la géologie, s’est tout à coup transformé en Colomb. Les capitalistes des États de l’Est, de New-York, de Boston, de Philadelphie, émerveillés de ces prétendues découvertes, ont prêté leur argent aux mineurs. Souvent, à très-grands frais, ils ont envoyé des commis incapables, des machines lourdes, coûteuses, inutiles, dans ce lointain pays, et ils ont vu, pour la plupart, leurs efforts échouer et tout leur capital perdu. De là des déboires qui ont déjà été signalés, et qui arrêtent en ce moment l’essor du Colorado, si merveilleux dès le début.

La seconde cause du malaise auquel est aujourd’hui sujet le Colorado ne mérite pas moins d’être notée ; c’est précisément la nature complexe des minerais d’or et d’argent qui paraît n’exister que pour les gîtes de l’Amérique du Nord, elle est à son maximum dans le Colorado, et elle arrête singulièrement l’exploitation des richesses souterraines de ce pays. Dans les sulfures métalliques, l’or n’est pas libre. Il est à l’état de combinaison chimique avec le soufre et les procédés les plus délicats de pulvérisation, de calcination ou grillage, d’amalgamation ou dissolution dans le mercure qui a tant d’avidité pour l’or, de chloruration ou attaque par le sel marin, le chlore, l’acide chlorhydrique qui décomposent les sulfures, tous ces procédés arrivent à peine à retirer la moitié, et quelquefois seulement le tiers ou le quart de l’or ou de l’argent combinés dans les minerais. Ce fait s’était déjà présenté en Californie pour ce qu’on nomme là-bas les

  1. Voir La Vie Souterraine, et le Tour du Monde, années 1863 et 1865.
  2. Les cartes des districts aurifères de Trail Creek et de Central City sont une des preuves du fait avancé.