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avait trouvé son filon. J’ai vu cette veine ; elle porte le nom de son découvreur, et elle est toujours d’une remarquable richesse, bien que n’offrant plus les concentrations aurifères des premiers temps[1].

Nevada doit le nom qu’elle porte aux neiges qui la couvrent pendant la fin de l’automne et l’hiver, et Central-City, à sa position intermédiaire entre les deux villes qui l’enserrent. Au pied de la vallée est Black-Hawk, au milieu la Ville du Centre, au sommet Nevada. Ces trois villes se suivent et n’en font qu’une pour ainsi dire. Resserrées dans le ravin de Clear-Creek, fouillé, bouleversé dès le premier jour par les chercheurs d’or, elles n’ont qu’une seule rue et étagent leurs maisons de part et d’autre des flancs des deux montagnes qui limitent la vallée.

Ces montagnes étaient jadis partout couvertes de conifères et de peupliers, qui vivaient là en bonne compagnie. À l’automne, les peupliers mariaient leur feuillage jaune d’or au vert sombre des sapins et des cèdres. Tous ces arbres s’élevaient gracieusement au milieu du quartz, du granit et des schistes du terrain métallifère. Aujourd’hui il n’y a plus d’arbres que là où il n’y a pas de filons. Ailleurs le mineur a tout dévasté pour satisfaire à ses besoins, pour édifier sa cabane ou bâtir son usine.

Les altitudes de ces lieux habités sont considérables. D’après mes propres mensurations, obtenues par des méthodes qu’il est inutile de décrire ici, l’élévation moyenne de Central-City est de deux mille six cents mètres au-dessus du niveau de la mer[2]. À ces altitudes,
Pike’s-Peak ou le pic de Pike (montagnes Rocheuses). — Dessin de Sabatier d’après un croquis original.
qui seraient complétement inhabitables sous nos climats (Paris est par le quarante-neuvième parallèle, Central par le quarantième), l’air est d’une légèreté dont les organes se ressentent, sans toutefois en souffrir ; mais il est aussi d’une pureté, d’une limpidité telles que les mois d’été et d’automne sont, dans tout le Colorado, même dans les lieux montagneux dont il est question, d’une beauté sans égale. Le ciel est toujours découvert, d’un bleu transparent. Il fait beau tous les jours, sans exception : c’est un climat de paradis terrestre, comme d’ailleurs dans tout le Grand-Ouest, du Missouri au Pacifique.

L’hiver, ces conditions changent. Il tombe beaucoup de neige, surtout dans les pays de montagnes, et le froid est souvent très-rigoureux. C’est ici qu’est vrai le proverbe que les deux extrêmes se touchent ; l’été on a quelquefois les températures du Sénégal, l’hiver celles de la Sibérie.

Au delà de Nevada on trouve, en descendant sur l’autre versant de la montagne dont cette ville occupe presque la ligne faîtière, un Camp (centre minier) où l’on exploita naguère de très-riches placers : c’est la petite ville d’Idaho, dont les eaux minérales gazeuses


    avec Red-Jacquet (la Jacquette-Rouge), et quelques autres, est resté populaire aux États-Unis.

  1. Le titre moyen de la roche métallifère, exploitée sur le filon de Gregory, varie aujourd’hui de cent à deux cents dollars ou de cinq cents à mille francs d’or par tonne de mille kilogrammes. La moyenne de tous les filons de quartz en Californie n’est guère que de vingt dollars. On peut, par ces deux exemples, juger de la richesse exceptionnelle du filon de Gregory.
  2. Denver n’est qu’à mille six cents mètres.