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et blessaient plusieurs voyageurs. Dans le Kansas, dans le Montana, des détachements, des convois isolés de soldats avaient été cruellement massacrés. Dans le courant du mois de juin 1867, plusieurs soldats d’un régiment de cavalerie et le lieutenant qui les commandait avaient été surpris et mis à mort par les Indiens. Quelques jours après, leurs camarades, envoyés à leur recherche, avaient découvert leurs squelettes percés de flèches, gisant au milieu de la prairie.

En présence de tous ces faits et des conseils que me donnaient à New-York quelques personnes fort sensées, allais-je suspendre mon voyage, après avoir traversé l’océan avec ses mille lieues ? Nul de mes compagnons n’était d’avis de s’arrêter ; je partageai cette idée, et je résolus d aller hardiment en avant, en tâtant peu à peu le terrain, et jetant le cri des Américains : go ahead !

Lesur lendemain de mon arrivée à New-York, le 26 septembre au soir, nous dîmes adieu à la ville impériale, le colonel Heine et moi, et avisâmes M. Whitney à Boston, pour qu’il vînt nous rejoindre à Chicago.

Nous prîmes la route ferrée de l’Hudson qui remonte le cours de cette belle rivière ; nous traversâmes le matin, à l’aurore, des villes qui avaient nom Troie, Utique, Rome, Syracuse, et qui sont faites pour dérouter le voyageur, s’il n’est pas bien réveillé. Heureusement que Rochester est là, avec son nom anglo-saxon, avec ses nombreux moulins à farine, puis les chutes du Niagara, que nous saluâmes vers midi, en franchissant le fleuve sur le plus beau pont suspendu qui existe au monde.


Station d’Omaha, point de départ du chemin de fer du Pacifique. — Dessin de Férat d’après un croquis original.

Nous voici dans le Canada, dont cette partie n’a rien de français ; l’aspect est même américain plus encore qu’anglais.

Nous côtoyons le lac Erié. À Détroit, un nom, entre mille autres, qui rappelle nos vieux Canadiens, nous traversons sur un bac à vapeur, qui reçoit tout le train, le bras d’eau par lequel le lac Huron communique avec le lac Erié. Nous rentrons sur le grand territoire de l’Union. Les belles plaines du Michigan, qui naguère faisaient aussi partie des Prairies, se déroulent autour de nous avec leurs magnifiques plantations de maïs et de blé. Nous saluons le lac Michigan, cette mer intérieure des États-Unis, et le 18 septembre au matin, nous arrivons à Chicago, notre première étape, à mille milles[1] de New-York, après le plus heureux et le plus rapide voyage.

On connaît la façon de voyager sur les railroads américains[2]. On sait de quels avantages, de quelle liberté y jouit le voyageur, alors qu’il est emprisonné chez nous comme un véritable colis. Là-bas il n’existe qu’une seule classe de voitures ; s’il y a des wagons plus confortables, c’est seulement pour les dames et les personnes qui les accompagnent. Chaque wagon peut contenir cinquante voyageurs. Les siéges sont dis-

  1. Le mille terrestre américain, comme l’anglais, vaut en nombre rond mille six cent dix mètres, soit environ un kilomètre et deux tiers.
  2. Les Américains disent railroad au lieu de railway (chemin de fer), depot au lieu de station (gare), car au lieu de carriage (wagon), track au lieu de line (ligne ferrée), locomotive au lieu de engine (locomotive), etc. Serait-ce en haine des Anglais ?