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fice et distinguer, dans ces massifs épais, les contours et l’étendue de la basilique primitive. Seul, M. Wilmosky sait où commence et où finit l’antique construction, et il lui déplaît de découvrir aux profanes ce qu’il a eu tant de peine à trouver ; mais qu’il reconnaisse en vous un frère en archéologie, qui admirera, au lieu d’en sourire, une si sincère passion, il vous fera les honneurs de sa cathédrale et de ses beaux et fidèles dessins ; vous y trouverez toutes ces parties de l’église d’Agritius que la marche des travaux a mises à jour pour un temps, et que les exigences de la restauration ont conduit ensuite à recouvrir et à cacher de nouveau.

Le bâtiment converti en église sous Constantin paraît à M. Wilmosky avoir été une basilique : il a retrouvé des restes du tribunal qui en occupait une des extrémités. Cette nef aurait été agrandie quand la destination de l’édifice fut changée. Les travaux terminés, la première cathédrale de Trèves aurait formé une vaste salle carrée où trois grandes portes donnaient accès : intérieurement, les murs étaient revêtus de marbre jusqu’à hauteur d’appui ; au-dessus brillaient des mosaïques ; quelques fragments retrouvés sont d’un goût fort élégant. Le plafond, sans doute peint et doré, était supporté par quatre hautes colonnes de granit, surmontées de chapiteaux en marbre de Paros. On a, dans le charmant cloître roman et devant la porte de la cathédrale, des débris de ces énormes colonnes, qui furent renversées dans la première destruction de l’édifice ; ce qui peut donner quelque idée de l’effet que produisait cette ordonnance, c’est cette grande pièce des thermes de Dioclétien, dont Buonarotti a fait à Rome l’église de Sainte-Marie des Anges.

Il resterait encore beaucoup à dire des monuments de la Trèves romaine ; nous n’avons parlé ni de ceux qui ont disparu depuis un siècle ou deux, comme l’arc de triomphe de Gratien, ni des tours ou propugnacula qui se voient encore, très-bien conservées, dans deux rues de la ville, ni de débris d’aqueducs et de réservoirs que l’on a signalés aux aborda mêmes de Trèves et dans les environs ; nous n’avons rien dit de l’admirable mosaïque découverte à Nennig, village situé dans la vallée de la Sarre, entre Trèves et la frontière française : ornement d’une villa romaine, magnifique demeure de quelque sénateur trévirois, c’est peut-être la plus belle mosaïque qui ait été trouvée de ce côté-ci des Alpes. Le monument d’Igel, obélisque à quatre pans, haut de vingt-six mètres et tout couvert d’inscriptions et de sculptures assez mal expliquées jusqu’ici, mériterait aussi d’attirer l’attention ; cette singulière construction qui était, il y a soixante-dix ans, mieux conservée qu’aujourd’hui, a vivement frappé Gœthe, comme on peut le voir dans son récit de la campagne de France.


III


Il fallut pourtant, trois jours après notre arrivée, nous décider à quitter Trèves, où nous avions retrouvé quelque chose de nos émotions et de nos impressions de Grèce et d’Italie, en errant parmi les ruines, sous ces belles allées de noyers qui l’entourent d’une ceinture d’ombre et de fraîcheur. La Moselle avait heureusement, cette année-là, assez d’eau, même au mois d’août, pour que le bateau à vapeur de Coblentz pût continuer son service en plein été, non sans craindre sans cesse les bas-fonds et sans talonner souvent sur le sable. On part à cinq heures du matin, et on arrive, quand on n’est pas arrêté en route par quelque anicroche, à la nuit tombante. On ne se plaint d’ailleurs pas des lenteurs et des détours de la route ; moins connues et moins vantées, ces rives de la Moselle sont presque aussi belles que celles du Rhin. Si l’aimable rivière n’a pas l’élan et la fuite rapide du fleuve impétueux et large qui précipite vers la mer les eaux de tant d’affluents ses tributaires, on jouit plus à son aise du coup d’œil et de la variété des points de vue. C’est le cas ou jamais de relire, comme je le fis, assis sur le pont du bateau, le poëme de la Moselle, dans l’excellente édition qu’en a donnée Boecking, le savant éditeur de la Notitia dignitarum utriusque imperii ; enfant de la vallée de la Moselle, il a voulu donner un souvenir à son pays natal et lui rendre hommage en publiant ce qu’on peut appeler le chef-d’œuvre d’Ausone, dans un texte soigneusement revu et avec d’excellentes notes où son érudition, ailleurs intempérante et pédantesque, a su se contenir et se borner. On connaît l’apostrophe du poëte à la Moselle : « Salut, fleuve qui arroses des campagnes dont on vante la fertilité et la belle culture, fleuve dont les bords sont ou plantés de vignes aux grappes parfumées, ou parés de fraîches et vertes prairies. »

Le poëte peint ailleurs « les faîtes des villas qui s’élèvent sur les collines suspendues au-dessus de la rivière » :

Culmina villarum pendentibus edita rivis.

C’était au moment où le bateau s’apprêtait à partir, que cette ligne me tombait sous les yeux, pendant que mes doigts distraits feuilletaient le petit volume, compagnon de ma route, et j’avais alors en face de moi la Maison-Blanche, charmante résidence d’été qui appartient au prince héréditaire de Hollande, gouverneur du Luxembourg. La gracieuse demeure couronne la falaise qui, de la rive gauche, regarde Trèves, ses clochers et ses ruines ; elle brille parmi les arbres, au sommet d’une côte où de place en place le grès affleure et fait saillie ; ces sombres rocs, ces larges taches d’un rouge foncé font ressortir la joyeuse verdure des gazons, des taillis et des vignobles qui tapissent les pentes. En bas coule paisiblement la charmante rivière, qui laisse monter vers les habitants de la colline son vague et doux murmure.

Comme le bateau nous emportait vers Neumagen, le Noviomagus des Romains, où Ausone, venu de la vallée de la Nahe, par la montagne, aperçut pour la première fois la rivière qu’il a chantée, j’admirais combien sont justes, et pour cette fois inspirés par la na-