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moins fine et moins soignée. C’était ici, qu’on ne l’oublie pas, une forteresse, non un ouvrage de luxe, et Trèves n’était pas Rome.

On peut faire, dans cette recherche, un pas de plus à l’aide d’un mot de Tacite : « Les légions, nous dit-il, en racontant la guerre de l’an 70, viennent camper, sans changer de route, sous les murs de Trèves. » Trèves était donc déjà entourée d’une enceinte fortifiée, et il est probable que la porte Noire faisait déjà partie de cette enceinte. En effet, cet édifice ne paraît avoir jamais porté d’inscription ; si, à une époque postérieure, il avait été ajouté à l’enceinte primitive, une inscription, tout le fait présumer, aurait rappelé le nom du prince sous lequel aurait été exécuté un si grand ouvrage. Si au contraire ce monument appartient à un travail d’ensemble, exécuté en une seule fois lors de l’établissement de la colonie, on comprend qu’aucune inscription spéciale n’ait été jugée nécessaire pour indiquer l’époque de la construction. M. Hübner croit, à divers indices, que Trèves serait devenue colonie à peu près vers l’époque où était fondée la Colonia Aggrippina (Cologne), c’est-à-dire sous Claude, vers 40 après Jésus-Christ. On s’expliquerait ainsi une particularité qu’il importe de remarquer. À la porte Noire, sur bien des points, le ravalement n’a pas été terminé ; beaucoup de chapiteaux n’ont été que dégrossis. C’est que les désordres qui suivirent la mort de Néron auraient fait suspendre les travaux ; interrompus par la révolte des Trévirois, ils n’auraient jamais, depuis lors, été repris.

La porte Noire est le plus imposant des monuments antiques de Trèves par sa masse et la noblesse de son style ; c’est celui qui témoigne le mieux, pour qui n’aurait point vu l’Italie, de la puissance et de la grandeur romaine. Les autres ruines de Trèves nous font descendre au troisième siècle ; elles datent du temps où Trèves était la résidence des empereurs, et pourtant qu’elles sont moins belles et moins intéressantes ! C’est que les temps sont bien changés ; l’architecte, comme s’il sentait qu’il ne peut plus compter sur le lendemain, n’emploie plus que les matières qui sont d’une mise en œuvre facile et rapide, telles que la brique. Il la cache, il est vrai, sous des peintures à fresque et des revêtements de marbre ou de stuc ; mais une fois ces revêtements abattus par le temps, que reste-t-il d’une construction en briques, sinon des masses énormes et confuses, sans contours arrêtés ? La brique, d’ailleurs, par sa nature même, se prête difficilement à recevoir des moulures en saillie ; partout où elle est seule employée, l’œil est exposé à rencontrer souvent de grandes surfaces verticales, plates et froides.

Tel a dû toujours être le défaut de la basilique, grand édifice rectangulaire terminé par une abside, et construit tout entier en brique. Ce monument, où on a voulu chercher aussi un palais, un bain, un théâtre, un hippodrome, paraît bien mériter le nom sous lequel il est généralement connu à Trèves, celui de basilique de Constantin. Ce serait, selon toute apparence, cette demeure de la justice, sedes justitiæ, dont parle avec admiration le rhéteur Eumène. Quoique décorés extérieurement de peintures, ces grands murs unis, percés de deux rangs de fenêtres encadrées entre d’assez lourds contre-forts, ne durent jamais flatter beaucoup le regard.

Intérieurement, l’effet devait être plus heureux, autant que l’on en peut juger par les basiliques de Rome et par la restauration, maintenant achevée, qu’a fait entreprendre le gouvernement prussien. L’ancien tribunal sert aujourd’hui d’église luthérienne. Ce qui a manqué pour que l’édifice retrouvât sa première splendeur, ce sont les matériaux précieux, dont l’emploi aurait été trop dispendieux. À cela près, la restauration paraît avoir été bien entendue. Une charpente apparente, peinte d’un ton de chêne, supporte la toiture. L’œil, que rien n’arrête dans cette vaste salle, atteint tout d’abord la spacieuse abside, autour de laquelle s’arrondit une demi-coupole. Cette abside est élevée sur plusieurs degrés ; l’autel en marque le milieu.

Sous le nom de Palatium trevirense, cet édifice avait été, sous les Francs, la résidence du gouverneur ou du roi. Plus tard, ce sont les archevêques qui s’y établissent et s’y fortifient, à l’abri de ces épaisses murailles romaines. Plus tard, quand les temps furent plus tranquilles, ils abattent, pour se mettre plus à l’aise, la muraille orientale. Malgré les grands travaux exécutés par la Prusse, la basilique, aujourd’hui même, n’est pas encore complétement détachée des lourdes constructions où l’avaient englobée les électeurs.

On a pris, disions-nous plus haut, la basilique pour un bain. Ce qui a causé cette méprise, c’est un fait réel, mais d’abord mal expliqué. Au pied et en dehors du mur occidental, on a trouvé un grand fourneau d’où partaient des conduits se dirigeant vers l’intérieur de l’édifice. Après réflexion, on a reconnu qu’à ce détail près l’édifice ne présentait aucune des dispositions qui conviennent à des thermes. On a donc vu là un simple calorifère destiné à chauffer, l’hiver, la haute et large salle où juges, plaideurs et curieux avaient souvent à rester immobiles pendant de longues heures. Pénétrant dans l’épaisseur des murs, courant sous le dallage, des tuyaux d’argile versaient, par de nombreuses bouches, l’air chaud dans la vaste nef. C’est d’hier seulement que nous avons commencé à chauffer nos églises, nos tribunaux, tous nos grands édifices publics : à vrai dire, nous avons bien moins inventé que nous n’aimons à nous le figurer et à le dire.

Un de ces secrets d’autrefois que nous venons de retrouver, c’est l’usage des bains chauds, qui commence à peine maintenant enfin à pénétrer dans les classes inférieures de la population. Chez les anciens au contraire, à l’époque romaine surtout, grands et petits, riches et pauvres, ont également l’usage et le goût de ces salutaires ablutions. On a généralement cru reconnaître les bains publics de Trèves dans un édifice, tout entier construit en briques, auquel s’appuyait l’angle sud-est des fortifications. Il y a peu d’années, ces ruines étaient tellement enfouies, que les fenêtres du premier étage formaient l’une des entrées de la