Page:Le Tour du monde - 17.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu près au centre de leur territoire, à égale distance environ du Rhin, frontière de la Germanie, et de Divodurum, aujourd’hui Metz, capitale des Médiomatrikes. Elle était assise sur la rive droite de la Moselle, un peu au-dessous de l’endroit où la Sarre, en y versant ses eaux, la rend plus aisément navigable en toute saison. Autour du point où durent se grouper les premières habitations, tandis que les collines de la rive gauche serrent de près le cours du fleuve, celles de la rive droite s’écartent et décrivent un vaste cercle ; la ville naissante devait donc être libre de se répandre dans la plaine autant qu’elle le voudrait et de s’entourer de spacieux faubourgs. De fertiles terres d’alluvion, propres à la culture de toutes les céréales, forment le fond de la vallée de la Moselle et de celles de ses affluents, partout où elles présentent quelque largeur ; les pentes des coteaux sont merveilleusement propres à la culture de la vigne, qui commençait à s’introduire dans la Gaule belgique vers le temps de la conquête.

Trèves, que vingt ou vingt-cinq heures de marche, à travers un pays montagneux et boisé, séparaient du Rhin, limite de la Germanie, s’agrandit et se développa rapidement sous la domination romaine. Capitale de la Gaule belgique, une des trois nouvelles provinces établies par Auguste, elle servait de résidence au gouverneur (légatus Augusti pro prætore) que nommait l’empereur. Les Trévires fournissaient aux armées qui gardaient la frontière du Rhin des corps de cavalerie (alæ) que l’on trouve mentionnés sur les inscriptions comme dans les récits des historiens, et qui se distinguèrent souvent dans la guerre de Germanie. Ici, comme dans la Gaule méridionale et dans la Gaule asiatique, la fusion entre les vainqueurs et les vaincus se fit avec une singulière rapidité. Tous ceux qui avaient quelque fortune voulurent, pour l’augmenter, entrer en relation avec les nouveaux venus, et, pour en mieux jouir, se mettre à leur école et s’initier à leurs arts. Il y eut donc redoublement d’activité et surexcitation de toutes les forces. La hache fit de très-grandes trouées dans les bois, la culture s’étendit et se perfectionna. Les chaussées que les ingénieurs romains conduisaient à travers marécages et forêts, les ponts qu’ils jetaient sur les rivières, permirent d’amener plus facilement à la ville les produits des vergers et des champs. Les débouchés ne manquaient pas aux producteurs. Sous Auguste et Tibère, Rome, pour que ses sujets et ses colons pussent habiter en sûreté la rive gauche du Rhin, travaillait à s’emparer de la rive droite ; sur cette étroite et longue bande de terrain dont on fit la double province de Germanie se trouvaient groupés, en moyenne, près de cinquante mille légionnaires, à peu près autant de soldats auxiliaires, avec des fonctionnaires de toute sorte, et des marchands, accoutumés à suivre les armées et à spéculer sur les besoins, les goûts et les vices du légionnaire. Il y avait donc là tout un peuple, toute une société nouvelle à pourvoir et à nourrir. Bientôt reliée au centre de l’empire par une grande voie qui allait aboutir à la riche capitale des Rêmes, Durocortorum, aujourd’hui Reims, Trèves était admirablement placée pour servir d’entrepôt.

Cependant quelques âmes conservaient encore, au milieu de ce développement de la richesse et du bien-être, le souvenir et le regret de l’ancienne liberté, et nulle part ces pensées d’affranchissement et ces dispositions n’étaient mieux justifiées que chez les Trévires ; les Trévires étaient alors, Tacite le dit expressément, la population la plus belliqueuse de la Gaule. En l’an 21 de notre ère, un noble Trévire, Julius Florus, conspira avec un des personnages principaux des Éduens, Julius Sacrovir, pour délivrer la Gaule des Romains. Mais il était déjà trop tard. Dès que la rébellion osa montrer la tête, elle fut écrasée chez les Trévires comme chez les Éduens. Malgré ce triste dénoûment, les projets de Julius Florus et de son associé furent repris, cinquante ans plus tard, par d’autres Trévires, Classicus et Julius Tutor. C’était pendant que durait l’ébranlement profond causé dans tout l’empire par la mort de Néron. Galba ôta aux Trévires, qui avaient aidé à écraser Vindex, leurs priviléges et leur liberté pour les réduire au rang de sujets provinciaux ; peu de temps après, Vitellius emmena en Italie l’élite des troupes qui défendaient les bords du Rhin. Il avait à peine franchi les Alpes que, sur ces frontières dégarnies, éclatait l’insurrection des Bataves, dirigée par Civilis, barbare d’un hardi génie. Il serait trop long de raconter comment les Trévires, après avoir d’abord essayé de couvrir l’empire, se trouvèrent peu à peu entraînés dans la révolte, et comment des légions romaines, se sentant serrées entre les Germains et les Belges, en vinrent à prêter serment à l’empire des Gaules, devant Classicus, assis sur son tribunal au milieu du camp, en costume de général romain.

Ce qui perdit la Gaule, sous Vespasien comme sous Jules César, ce furent ses divisions intestines. La guerre civile y éclata ; l’habile et sage Vespasien n’eut qu’à envoyer en Gaule un des meilleurs généraux que Rome possédât alors, Céréalis, et, après que les députés des différents peuples gaulois, convoqués à Durocortorum, eurent vainement essayé de se concerter pour organiser l’empire gaulois, la débâcle commença ; quelques jours après, Céréalis était avec ses légions devant les murs de Trèves, que l’on essaya à peine de défendre. Les soldats romains demandaient à grands cris l’ordre de piller et d’incendier la cité rebelle, la patrie de Classicus et de Tutor, la prétendue Rome gauloise ; il fallut, pour les contenir, toute la prudence et toute la vigueur du général. Ce fut la dernière protestation armée de l’indépendance gauloise.

Pendant tout le cours du second siècle, nous n’entendons plus parler de Trèves ; mais au troisième nous la voyons prendre le rôle d’une de ces capitales secondaires qui, dans les deux derniers siècles de l’empire, se partageraient les empereurs et remplaceraient Rome,