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mais que, plus tard, ils ont été repoussés vers la base des montagnes par les Tscherkess.

La religion de ce peuple est empruntée tout à la fois aux cultes chrétien, musulman et païen. Ils font des offrandes de pain et de beurre sur des autels établis dans des bocages sacrés, pendant la semaine sainte du calendrier chrétien. Ils observent nos carêmes. Les ruines de temples épars sur leur territoire sont un témoignage qu’à une certaine époque le culte chrétien était suivi d’après notre rite d’une manière plus régulière.

Le gouvernement russe s’occupe sérieusement de leur conversion à l’orthodoxie : on leur envoie comme missionnaires de jeunes prêtres qui ont à peine terminé leurs études en théologie, et sont pleins encore de la première ferveur religieuse.

Je rapporterai, en terminant ce que j’avais à

dire des Ossètes, une anecdote, que tout le premier je n’aurais pas hésité à déclarer invraisemblable, si je n’étais à même de garantir la source où je l’ai puisée : je la tiens d’un témoin oculaire.


Armes caucasiennes.

Cédant aux instances du missionnaire chez lequel il était, cet individu avait consenti à rester jusqu’au dimanche pour assister au spectacle d’une cérémonie où l’on devait recevoir de nouveaux convertis. Il vit à l’église plusieurs hommes, la tête couverte de leur coiffure, d’après l’usage antique, et devisant sur divers objets. Le prêtre, dès son entrée, les interpella en leur adressant avec sévérité l’admonestation suivante :

« Combien de fois, leur dit-il, faudra-t-il donc que je vous explique que c’est ici la maison de Dieu ? qu’on ne peut s’y présenter le bonnet sur la tête, qu’on ne doit non-seulement pas y jaser, mais encore qu’il ne faut y penser à aucune autre chose qu’à Dieu lui-même ? »

Après qu’il leur eut fait quelques autres recommandations de même sorte, il monta vers l’autel. L’office commence ; mais le prêtre est obligé de l’interrompre à diverses reprises pour rappeler au silence tantôt un groupe, tantôt un autre. Ces gens étaient tout occupés de leurs propres affaires comme dans un bazar. Un des assistants, lassé probablement de la longueur de la messe, dite en slavon d’église, langue entièrement nouvelle pour lui, tire une pipe de sa poche, la bourre et va l’allumer ; mais il s’aperçoit qu’il a oublié son briquet. Il demande celui de ses voisins, personne n’en a. Désespéré, le brave homme se dispose à remettre sa pipe dans sa poche. Mais, ô bonheur ! voici le prêtre qui descend de l’autel, tenant en main l’encensoir tout fumant. L’Ossète s’il avait bien adressé ses prières à Dieu, aurait pu croire que son vœu était exaucé, et que la Providence lui envoyait juste à point ce qui lui manquait. Toujours est-il qu’il s’approche du prêtre et le prie de s’arrêter un moment et de lui laisser allumer sa pipe aux charbons de l’encensoir.

À ce sujet, nouvelle interruption et nouvelle admonestation sur la manière de se tenir dans le temple du Seigneur.

Tout confus, le nouveau converti regagne piteusement sa place : mais, là aussi, ses voisins se mettent à le tancer d’importance : « En effet, dit l’un d’eux, es-tu stupide ! Si cela t’ennuie, sors dans la rue, et vas-y fumer, mais, ici… que diable !…

— Ma foi, reprend le gars, s’il en est ainsi, je n’y reviendrai plus. »

Et, se couvrant la tête, il se hâta de s’en aller.

D’après ce récit, on peut juger de la valeur sérieuse de ces conversions.

De grandes ruines avec des restes de tours et de murailles apparaissent sur un immense rocher situé dans le Darial, sur la rive gauche du Térek. Ce sont, disent les habitants, les débris du château de la reine