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ses, et ses eaux croissant en même temps, il fait écrouler la première digue, l’entraîne jusqu’à la suivante, et s’arrête de nouveau. La colonne d’eau devient de plus en plus lourde et triomphe de l’obstacle qui la retient, le renverse, et le pousse avec violence jusqu’à un autre, pour recommencer sa lutte avec les suivants, jusqu’au dernier éboulement qui est toujours le plus redoutable.

Les avalanches du Kasbek ont été, sous tous les rapports, beaucoup plus terribles et plis dangereuses.

On a fait de nombreuses descriptions de ces lavines. La plupart sont tronquées et peu dignes de foi. De ce qu’ont dit quelques témoins qui n’ont pu les observer que de temps à autre on ne peut guère tirer de certain que cette note :

« Autrefois une énorme lavine se détachait chaque année des sommets du Kasbek. Elle comblait de ses masses une grande partie de la gorge du Darial, arrêtait pendant des heures entières le cours du Térek, occasionnait de funestes dégâts le long de la route militaire de Géorgie, et ne disparaissait complétement qu’au bout de plusieurs années. Les communications entre la Géorgie et la Russie s’établissaient alors par-dessus cette énorme barricade, au milieu de dangers et de difficultés inouïs. »

Ce phénomène, qui se reproduisait périodiquement, chaque année, ne variait que par le degré de force des masses précipitées dans le défilé. Depuis un espace de temps assez long le danger est comme suspendu : un énorme bloc de rocher, arraché des flancs de la montagne par une dernière avalanche, et qui s’est fixé sur un des flancs du Darial, semble lui opposer aujourd’hui un obstacle sérieux.

Avez-vous jamais vu, lecteur, une lourde masse, glissant sur une surface unie et inclinée, s’arrêter tout à coup au simple contact d’un doigt qui agit à propos :
Ancien relais de poste sur la route de Tiflis.
c’est ainsi qu’un rocher de granit suffit pour retenir dans son élan l’immense lavine du Kasbek, qui pourrait combler le Darial. On aperçoit, en suivant la route du défilé, la crête du rocher.

Il est à désirer que cet éboulement serve pour toujours de barrière aux avalanches qui, pendant un si grand nombre de siècles, ont menacé de combler ce passage.

Depuis la prise de possession définitive de ces contrées par la Russie, il ne s’est produit que trois grandes avalanches du Kasbek, qui ont encombre le défilé du Darial : ce fut en 1808, 1817 et 1832.

Il n’existe presque aucune tradition sur les deux premières, si ce n’est que la fonte de la deuxième a duré cinq années ; ce qui, du reste, n’est confirmé par aucun document positif.

On ne possède guère de détails exacts que sur la troisième.

La lavine descendit brusquement, le 13 août 1832, à cinq heures du matin. La gorge du Térek fut encombrée sur une étendue de près de deux kilomètres. La masse composée d’énormes blocs de glace, de neige et de pierres, obstrua complètement le cours du fleuve. Les habitants de Vladicavcaz virent son lit à sec pendant plusieurs heures. Arrêtées dans leur cours, les eaux du Térek montèrent à une hauteur démesurée vers la partie supérieure du défilé : elles y formèrent une espèce de lac, et ne parvinrent à se frayer un passage qu’après huit heures de lutte contre la digue gigantesque qui interrompait leur cours ordinaire.

Il se forma une immense voûte de glace et de neige sur un parcours de deux kilomètres : le fleuve passait dessous en grondant sourdement.

La hauteur de cette masse fut évaluée à une moyenne de près de cent vingt mètres : elle mesurait trois millions deux cent mille mètres cubes.

De nos jours les petites avalanches ne sont pas rares,