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Cette caverne représente une espèce de cône brisé de plusieurs mètres d’élévation et de cinq ou six mètres de surface à la base. Les sources sulfureuses, dont l’une est chaude, ont creusé autour des parois de larges trous remplis d’une eau d’un bleu verdâtre très-tranché. L’impression qu’on éprouve, à la vue de cette ouverture étroite et profonde, est loin d’être agréable, et le vertige est bien près de vous saisir, si vous voulez y plonger les regards. Je revins souvent admirer ce caprice étonnant de la nature, mais je n’eus pas l’idée d’en faire le croquis, et aujourd’hui j’en ai regret.

La montagne de Maschouk abonde en eaux minérales. Les eaux sulfureuses de Piatigorsk principalement ont une grande réputation médicale, méritée, il faut le croire. Dans les environs on trouve des sources ferrugineuses, celles de Gelesnovodsk, de Kislovodsk, et autres, où les esculapes russes envoient chaque année un grand nombre de pèlerins.

Avant de m’éloigner de Piatigorsk, dont les environs m’avaient ravi, j’eus une chance précieuse pour un artiste : il me fut permis d’enrichir mon album d’un portrait que je recommande à mes lecteurs : c’est celui de l’armurier de Schkhaou (voy. p. 196). J’avais été frappé de la physionomie de ce montagnard aux traits nettement accusés : on peut le considérer comme un type très-caractéristique de sa race. Il était originaire du Daghestan, province limitrophe du Caucase.


Bohémienne.

Je continuai ma route vers le Caucase, lorsque je tombai tout à coup au milieu d’une bande de Tsiganes (Bohémiens), qui changeaient de résidence. Leurs charrettes attelées de plusieurs chevaux, leurs bagages de toute sorte, — effets de tente et d’habillement, ustensiles de ménage et autres, — entassés pêle-mêle à une hauteur de trois mètres et plus, les faces ébouriffées des femmes et des enfants apparaissant au-dessus de ces montagnes mobiles, formaient un tableau curieux et étrange.

Les hommes étaient à pied, d’autres à cheval, formant escorte aux voitures. Quelquefois un long convoi se déroulait en soulevant une épaisse poussière, et remplissait l’air de sons discordants, de cris et de jurons abominables. C’était, à tout prendre, une procession lamentable, triste à voir.

Le camp volant des Bohémiens se nomme tabor. Ils l’établissent de préférence à l’entrée des villes ou des grands villages où ils trouvent plus facilement à s’employer à différents travaux. Ils sont forgerons, charpentiers, ou exercent de petites industries. Leur principale profession cependant est la mendicité combinée avec le vol. Mais ils savent avoir recours à d’autres moyens d’existence, suivant les lieux, le temps et l’occasion.

Les femmes jouissent d’un privilége qui ne leur a jamais été refusé : elles sont diseuses de bonne aventure, charmeuses et sorcières. D’où vient la confiance qu’elles inspirent sous ce rapport au petit peuple ? on ne saurait le dire. Il est à présumer qu’on peut l’attribuer principalement à leur physionomie étrange et à leurs costumes excentriques. Outre ces talents douteux, elles rivalisent avec les hommes dans l’art de s’approprier le bien d’autrui.

Aussi, ces gens sont-ils très-peu tolérés et ne leur permet-on pas, sans beaucoup de difficultés, de s’établir à demeure fixe dans les villes et les villages. Partout où ils s’arrêtent, les rapts et les vols se multiplient rapidement, et l’on finit toujours par les expulser, sans recourir à la moindre formalité.

Le ménage d’un Bohémien est tout à fait en rapport avec sa vie nomade et surtout vagabonde. Une charrette démontée, adossée à des pieux et recouverte d’une toile usée et pleine de trous, ou d’un feutre tombant en guenilles, ou de toute autre étoffe, voilà son unique abri.

L’intérieur d’une pareille tente est, on le conçoit, hideux à voir : c’est la misère dans la boue ; on peut à peine s’y mouvoir.

Un petit chaudron en fonte sert à préparer la nourriture : mis sens dessus dessous, on l’offre au visiteur en guise de siége, c’est une marque de respect. Le reste est à l’avenant : un seau d’eau, quelques ustensiles en mauvais état, des outils brisés, des paquets de haillons, composent toute la richesse d’une famille.

Dehors, au grand air, sont disposés le plus souvent un soufflet, une enclume, des tenailles et d’autres instruments de forge.

Rien de national dans le costume : les vêtements ne sont qu’un assemblage de pièces les plus disparates, et par la coupe, et par les couleurs. En voyant un Bohémien, on peut dire à coup sûr de quel pays il arrive. Ainsi, je ne craindrais point d’affirmer que ceux