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mauvaise humeur, et pleine de reproches à l’adresse des visiteurs nocturnes qui venaient si mal à propos troubler un doux sommeil. Nous réussîmes cependant à obtenir du thé et un souper à la grâce du bon Dieu.


Poste cosaque.

Le lendemain nous devions repartir de bon matin, mais il y eut un retard à cause des chevaux. Malgré les murmures des voyageurs, il fallut attendre pendant une bonne partie de la journée. Quant à moi, je n’en fus pas trop mécontent, et j’en profitai pour flâner au milieu de la foule aux costumes bigarrés.

C’était un dimanche. Une grande animation régnait dans les places voisines de la station. On y voyait en abondance toutes sortes de marchandises, de comestibles, et surtout de fruits, quoique la saison fût peu avancée. Il était difficile de ne pas se laisser séduire par la vue attrayante de ces primeurs. Toutefois, je me souvins des prunes de Stavropol, de mes tortures, et de la magicienne : j’admirai, sans y toucher, ces montagnes de friandises.

Plus loin dans le bazar s’étalaient tous les attributs du ménage indigène, toutes les parties du costume : un vieux fusil, le pot en terre glaise, de vieilles bottes, une casquette de soldat, un bonnet de fourrure pour voyager en montagne, un petit poignard à lame solide, un bachlik, espèce de capuchon à longs bouts, que les montagnards et les Cosaques portent en temps de pluie, par-dessus leur bonnet, et qui me parut nécessaire pour mon prochain passage à travers la chaîne du Caucase : ce fut un des premiers objets caucasiens dont je fis emplette.

J’allai me promener ensuite, au hasard, à travers la ville. Des rangées de petites maisons, sans ombrages, construites rarement en pierres, le plus souvent en bois, composent quelques rues tortueuses, non pavées et pleines de poussière, coupées par de grands marchés ou simplement par d’immenses places nues. Des moutons et des veaux paissent paisiblement la mauvaise herbe qui croît dans les rues.


Sentinelle cosaque en faction.

À l’angle d’une de ces places se trouvent une église en bois et son cimetière, entourés d’une épaisse verdure.

Le dimanche toute la population libre est au bazar, les uns pour vendre, ou pour acheter, d’autres tout simplement pour apprendre les nouvelles et se livrer aux commérages si agréables, en tout pays, à ceux qui ne savent point penser. Le reste de la ville est parfaitement calme et tranquille : de temps à autre seulement, on voit passer un homme à cheval, une charrette remplie de pastèques, d’hommes et de femmes cosaques.

Je rencontrai un convoi de prisonniers montagnards, enchaînés deux par deux et marchant au milieu de soldats armés de baïonnettes ; ils allaient au bazar faire des provisions. Le bruit sourd de leurs lourdes chaînes résonnait désagréablement à l’oreille et rappelait le rôle assez important qu’avait joué Géorgievsk, en défendant les environs contre les invasions des montagnards voisins.

Lorsque le temps est beau et le ciel pur, c’est de cette ville qu’on aperçoit, pour la première fois, les cimes neigeuses de la principale chaîne du Caucase.