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les désagréments de la route. Il serait injuste de passer sous silence ce qui me paraît être un précieux complément du bien-être, l’attribut indispensable des hôtelleries, l’orgue plus ou moins mélodieux dont les ritournelles monotones procurent un doux sommeil.

Le lendemain, pendant qu’on attelait les chevaux, j’eus le temps de visiter la ville en touriste.

Elle présente en général le même aspect que la plupart des villes russes de la province, et, quoique Stavropol soit la capitale de la province septentrionale du gouvernement caucasien, elle ne se distingue par aucun caractère particulier.


Femme cosaque.

La grande rue ferait honneur aux plus belles villes d’Europe : tracée en ligne droite, longue et large, avec une avenue d’arbres au centre, elle conduit, par une pente assez rapide, jusqu’au sommet de la montagne.

De cette hauteur le voyageur embrasse d’un seul regard à ses pieds un vaste panorama, les grands édifices réguliers des tribunaux, les belles maisons particulières, les magasins, les habitants, hommes et femmes, semblables aux Européens. Sur la droite s’élève l’immense cathédrale : c’est un composé, peu agréable, d’architecture romaine et moscovite, fort à la mode en Russie dans la première moitié de notre siècle.

Heureusement, ce genre faux et disgracieux tend de plus en à disparaître. Les côtés de la ville sont moins réguliers et moins propres, pour ne pas dire sales.

Stavropol a quelque peu l’aspect d’une ville de guerre : cela tient à ce qu’elle a été assignée comme

résidence au commandant des armées de ces provinces et à son état-major.

Lors de mon passage, cette fonction était remplie par le général Evdokinnoff, le héros de la dernière guerre du Caucase. C’est lui en effet qui fut le promoteur de la migration en Turquie des tribus révoltées et le principal exécuteur des rigoureuses mesures qui l’accompagnèrent. Fils de soldat, il s’éleva des degrés inférieurs du service militaire au grade de général en chef et au titre de comte de l’empire de Russie.

S’il est des gens qui portent sur le visage les vrais signes du courage, il peut certes être rangé parmi eux ; deux balles qui ont labouré son visage y ont imprimé un témoignage ineffaçable de sa valeur.

En quittant la ville, je pris la direction de Géorgievsk, ville distante d’environ cent cinquante verstes dans la direction du sud-est.


Jeune cosaque.

Je demande la permission de placer ici le récit d’une aventure fort désagréable qui me laissa, je ne puis le nier, un fâcheux souvenir de ma première journée de voyage après Stavropol.

C’était au printemps, à l’époque des premiers fruits : je ne pus résister au désir de manger quelques prunes, bien qu’elles ne fussent pas assez mûres.

La nuit suivante, je me mis au lit avec des souffrances atroces.

J’étais déjà à soixante verstes de Stavropol, et je ne pouvais songer à faire venir un médecin à la station. Il me fallut me contenter des ressources qui se trouvaient à ma portée : un Cosaque complaisant, le préposé de la station, m’offrit de consulter une femme médecin connue dans les environs pour conjurer toutes les maladies possibles. J’y consentis. Bientôt apparut une femme d’un âge respectable, mise avec propreté ; elle fit d abord la prière d’usage devant les saintes images, puis me salua très-bas, et enfin me questionna gravement sur ma maladie. Après quoi, s’armant d’une tasse pleine d’eau chaude, elle se mit à m’en asperger et à souffler sur moi alternativement, tout en marmottant quelques mots ou de prière ou d’invocation, ce que je ne pus distinguer dans cette situation de maussade mémoire qui n’était nullement favorable à des observations plus ou moins sérieuses. Ainsi se termina la première séance. Mon médecin en jupon me promit de revenir le lendemain.

Par bonheur pour moi, le hasard amena à la même station un voyageur, homme respectable, que j’eus plus tard l’occasion de rencontrer de nouveau à Tiffis. Il avait dans sa valise une petite pharmacie, et, avec nos connaissances réunies, nous pûmes composer une potion à laquelle je dus de me retrouver sur pied le lendemain matin.

Lorsqu’alors revint mon docteur femelle, il fallait voir son enthousiasme, mêlé, il est vrai, d’étonnement ; à peine pouvait-elle croire à ce brillant succès de ses conjurations, et il est hors de doute qu’une cure aussi