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VOYAGE DANS LES PROVINCES DU CAUCASE,


PAR BASILE VERESCHAGUINE[1]


TRADUIT DU RUSSE PAR Mme ET M. LE BARBIER (ERNEST).


1864-1865. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


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La chasse au revolver. — Stavropol. — Le général Evdokinnoff. — Une femme médecin. — Les torrents. — N’oubliez pas les pourboires.

Avant d’arriver à Stavropol, je n’avais guère traversé qu’une région triste et déserte dont la route est bordée, comme en plusieurs endroits de l’isthme caucasien, de terrains qui paraissent avoir été oubliés de Dieu et brûlés par le feu céleste.

Mais autour de cette ville le pays devient quelque peu montagneux ; la végétation y est moins rare, l’air plus frais et plus agréable à respirer.

C’est là que pour la première fois j’aperçus l’aigle.

Je n’en avais vu jusqu’alors que dans les ménageries et les jardins zoologiques de l’Europe.


Postillon cosaque.

Quelle différence entre ces aigles malingres, tristes, sans plumes, et ceux que j’avais devant moi, libres et vigoureux, à l’œil plein de feu, aux mouvements larges et majestueux, lorsqu’ils déploient leurs ailes et semblent nager dans les airs !

Je n’avais pas de fusil, je pris mon revolver de voyage, qui s’ennuyait dans l’inaction, couvert d’une pacifique poussière. En tirant balle sur balle à la distance de vingt à vingt-cinq pas, je voyais déjà en idée tomber à mes pieds ce fier animal, et je me berçais de la douce satisfaction de contempler plus tard un aigle empaillé, tué par moi-même. L’oiseau fut assez gracieux pour venir tout près de moi ; mais, au bruit de la décharge de mon revolver, il secoua ses ailes et s’envola.

Mon amour-propre m’insinua qu’il était mortellement blessé… peut-être !

Plus tard, dans la contrée au delà du Caucase, j’ai eu d’autres rencontres avec ce grand rapace, et assez souvent j’en suis sorti plus satisfait que de celle-ci.

Le crépuscule commençait à tomber lorsque Stavropol nous apparut et nous offrit un beau coup d’œil : la ville est bâtie sur une colline en pente douce, et de loin on aperçoit son immense cathédrale avec ses ornements qui ne sont pas sans élégance.


Une partie de dames chez les Cosaques.

L’obscurité m’empêcha, dans le centre de la ville, de voir autre chose que les silhouettes des grands édifices aux formes régulières et les lumières qui couraient derrière leurs longues rangées de fenêtres.

Dans les faubourgs, les maisons, au contraire, sont semées au hasard et sur des accidents de terrain, ce qui rend l’éclairage très-inégal et fort insuffisant, comme je pus m’en convaincre, lorsqu’il nous fallut monter et descendre des chemins si mauvais et si sales qu’au milieu de l’obscurité le diable lui-même s’y serait cassé les jambes.

Mais à l’auberge un accueil bienveillant, un bon souper et un bon lit, nous firent bientôt oublier tous

  1. Suite. — Voy. p. 161.