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avaient à supporter de la part des voyageurs des invectives et des menaces, souvent accompagnées de coups de bâton.


Grec mendiant.

Je me rappelle que dans une de ces stations j’eus beaucoup de peine à m’endormir. L’inspecteur était ivre : et, dans sa hutte, qui n’était séparée de ma chambre que par le mur peu épais, il psalmodia, fort avant dans la nuit, des chants religieux sur tous les tons imaginables.

Un second, vieillard d’un aspect fort respectable, m’invita, comme il le fait, paraît-il, avec tous les voyageurs, à l’entendre jouer une foule d’airs sur la flûte.

Un autre incident me revient à la mémoire. À une station, une des chambres, transformée en cachot, était occupée par un postillon qui s’était laissé piller maladroitement. Les postes russes se composent généralement de plusieurs télégas, chargées de grandes valises de cuir fermées avec des cadenas et dans lesquelles se trouvent les envois. Sur les ballots ou les valises de la dernière téléga est assis le postillon préposé à leur garde. Le pauvre homme emprisonné était un jour à ce poste, lorsque plusieurs coquins, voyageant dans un attelage à trois chevaux, lièrent conversation avec lui et l’invitèrent à entrer avec eux dans le premier cabaret qu’ils trouveraient sur leur chemin. Le postillon accepta cordialement l’invitation et, la tête un peu troublée quand il remonta sur les valises, ne s’aperçut point que ses aimables compagnons les fendaient avec leurs couteaux tout en lui contant des sornettes, et jetaient ce qu’elles contenaient sur la route, où se trouvaient bien entendu des complices pour en faire immédiatement leur profit. Il arriva à une nouvelle station, toujours assis sur une valise presque vide, sans avoir conçu le moindre soupçon.


Grec mendiant.

En automne, après les pluies d’été, les routes deviennent presque impraticables. Il m’est souvent arrivé de m’embourber dans les chemins après une journée d’orage.

Les roues s’enfoncent jusqu’aux moyeux dans les ornières remplies d’une bouillie grasse et pâteuse ; les chevaux ont grand’peine à tirer et n’avancent qu’avec une lenteur désespérante. Il n’est point rare qu’entre deux stations l’essieu se rompe tout à coup, et vous demeurez là, sans qu’il vous soit possible de faire bouger l’attelage.

Un jour je fus victime d’un semblable accident : l’essieu de ma téléga s’était brisé avec une telle violence que par une brusque secousse j’avais été lancé le visage dans la boue. Je restai là plusieurs heures, sous une pluie battante, attendant le retour du postillon, qui était allé chercher tout ce qu’il fallait. pour remettre en meilleur état son vieux véhicule.

Une autre fois, par un temps magnifique, M. V…, officier de l’état-major du Caucase, et moi, nous fûmes exposés à un plus grand péril.

Nous avions changé de chevaux au relais de poste d’Ordonskoy, le dernier avant d’arriver à Vladikavkaze. On avait attelé à la télega trois chevaux qui n’avaient jamais été dres-