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alors qu’un long combat sanglant, des alertes continuelles, réveillant toute la bourgade la nuit, la tenant sur pied le jour. Sans cesse sur le qui-vive, ils restaient constamment vêtus et armés jusqu’aux dents, toujours prêts à la défense, toujours menacés de se voir ravir femmes, enfants, troupeaux.

Le fleuve Térek opposait seul, par la rapidité de son courant, un obstacle aux incursions des montagnards : aussi, ses bords étaient-ils constamment sillonnés par des patrouilles et gardés par des piquets de Cosaques armés. Le danger d’une invasion se présentait-il ? Le Cosaque, de faction sur la tourelle, le signalait immédiatement. Si l’on avait besoin de renforts, on envoyait les demander aux bourgades les plus proches ; les Cosaques se rassemblaient en un clin d’œil et marchaient droit à l’ennemi. Tous les gués, les buissons, les bois étaient gardés nuit et jour. Les montagnards, sachant à quel ennemi ils avaient affaire, organisaient leurs courses dans le plus grand secret et usaient de précautions de toute espèce : le guerrier le plus alerte était chargé de faire une reconnaissance, il suivait à la nage le cours du fleuve, poussant devant lui une pièce de bois ou une forte racine d’arbre, derrière laquelle il pût se dissimuler aisément. Malheur aux Cosaques, s’il trouvait un passage mal gardé ou une sentinelle endormie, la bande passait tout entière, et toute la contrée était mise à sac et ravagée par l’incendie.

Mais, au contraire, lorsque le Cosaque de garde, habitué à toutes les ruses de l’ennemi, distinguait au passage la tête rasée du montagnard, c’en était fait de ce dernier : il le laissait arriver tout près de lui, et, à travers le buisson qui le cachait, lui envoyait une balle dans la tête.


Jeune Nogaï.

Aussi fallait-il aux Cosaques de la Ligne l’œil pénétrant et l’oreille tendue pour deviner l’approche de l’ennemi ; la force et le sang-froid au milieu de ces alertes et de ces luttes incessantes ; le courage en face de la mort et la finesse qui sait opposer la ruse à la ruse. Si la colonisation a modifié ce type curieux, elle n’a pu en effacer complétement les traits : le Cosaque d’aujourd’hui n’est pas sans ressemblance avec ses ancêtres. Dès l’âge le plus tendre, l’enfant est élevé dans le mépris de la vie et dans l’habitude d’affronter les dangers, quels qu’ils soient. Toujours en selle, il devient un cavalier agile, plein de vigueur et de fougue.

L’équitation est en grand honneur chez eux : à cheval ils font merveille. Lançant leurs coursiers à fond de train, ils tirent au but, et presque toujours ils l’atteignent ; sans changer l’allure de leur cheval, ils ramassent divers objets sur le sol, lancent en l’air leurs sabres et leurs fusils, et les rattrapent ; ils sautent à terre et remontent en selle avec une aisance et une agilité surprenantes.

J’ai eu l’heureuse chance d’assister à un spectacle réellement saisissant : c’était celui d’une troupe de cavaliers faisant une charge à fond de train debout sur leurs montures et le haut du corps en avant (v. p. 161). On nomme ce genre d’exercices djighitoffka : c’est chez eux un divertissement fort estimé et auquel ils donnent tout l’éclat possible. Ils l’exécutent en l’honneur de quelque voyageur illustre auquel ils veulent témoigner un profond respect. Plus le personnage est haut placé, plus ils mettent de solennité dans ce tournoi ; ils multiplient les exercices à l’infini, ils y ajoutent même l’attrait puissant d’un danger réel. Aussi la journée ne se termine-t-elle guère sans bras ou jambes cassés ; il n’est même pas rare que les accidents soient mortels.

Jadis l’administration locale jouissait de grands priviléges et de certaines franchises, dont quelques-unes, du reste, subsistent encore. Aussi les Cosaques se regardent-ils comme un peuple libre et supérieur aux autres Russes, qu’ils traitent assez lestement ; ils aiment à exercer sur eux leur verve, comme j’ai eu l’occasion de le constater, lorsqu’ils avaient affaire à nos soldats originaires du nord de la Russie.

Indépendamment du service militaire sur la ligne, dont la défense est confiée à leur garde, ils doivent satisfaire à la loi générale du recrutement. Une partie de la jeunesse va compléter les régiments cosaques qui sont disséminés dans tout l’Empire, mais principalement dans les régions du Caucase et du Transcaucase.