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Au départ, après avoir fumé amicalement la pipe qui m’avait été offerte et qui était bourrée de mauvais tabac, je distribuai quelques griveniks à ceux que j’avais fait poser. Je reçus en échange une provision de vivres pour la route et force bénédictions : « Tu es notre connaissance, me dit l’un d’eux, en me frappant familièrement sur l’épaule (c’était un petit vieillard, sans bonnet et aux oreilles pendantes) ; lorsque tu seras à Stavropol, demande le vieux Ale-Ale, tu seras reconnu. » (Voy. p. 172.)


Les Cosaques. — Une stanitza. — Autrefois et aujourd’hui. — Le Cosaque à cheval. — Costumes. — Mendiants grecs, bohémiens et moines.

Nous approchions de Stavropol. Déjà s’offraient à nos regards les bourgades et les villes cosaques : pendant un certain espace, elles bordent la grande route ; mais à mesure qu’on avance vers la grande chaîne du Caucase, elles s’en écartent, et on ne les aperçoit plus que dans le lointain, au levant et au couchant.

Les Cosaques occupent le territoire, dont on avait forme précédemment les grandes lignes militaires. Aussi ont-ils subi l’influence russe au point de perdre presque entièrement leur caractère primitif.

L’habitant actuel de ces contrées, par sa figure, ses mœurs et ses usages, offre une grande ressemblance avec le paysan des gouvernements de la Nouvelle-Russie, et surtout avec le Petit-Russien : il en diffère seulement un peu par suite de l’existence alerte et active qu’il a menée lors de la colonisation de ce pays.

Les stanitsi, ou bourgades des Cosaques de la Ligne, s’étendent tout le long des frontières qui bornent au midi les possessions russes. Il y a un siècle à peine, elles composaient l’unique défense de cette région contre les races sauvages voisines. La population qui s’y est formée a beaucoup perdu de son caractère belliqueux depuis que les frontières ont été reculées plus au sud, et les lignes elles-mêmes n’ont plus l’importance qu’elles avaient à l’époque de leur établissement.


Petite fille nogaï.

Une stanitsa cosaque n’est autre chose qu’un grand village, tel qu’on en rencontre dans certaines parties de la Russie. La population varie de mille à deux mille âmes ; l’église s’élève au centre des habitations ; une palissade les entoure de toutes parts. Elle a deux entrées avec de grandes portes, au-dessus desquelles on a placé une inscription qui indique la date de la fondation et le nombre des habitants. À côté de chaque porte s’élève un donjon, qui a la forme d’une tourelle carrée. Un Cosaque s’y tient en observation. On retrouve des tourelles semblables sur quelques éminences qui avoisinent la grande route postale. Elles sont flanquées d’un corps de garde, où se tenait le piquet de surveillance. La plupart de ces constructions tombent en ruine, vestiges des temps passés et derniers témoins d’une activité fiévreuse, toute de rapine et de pillage.

La construction de ces tours est originale et tout à fait primitive : quatre longues poutres enfoncées dans la terre et inclinées l’une vers l’autre forment la base ; avant d’arriver au sommet, on voit une petite chambre entourée de balustrades en bois, et au-dessus, un peu plus élevé que la taille d’un homme, un toit quadrangulaire, incliné et recouvert de planches ou de paille, et surmonté parfois d’une pointe ou simplement d’un pieu. Un escalier étroit descend de la chambre pour aboutir à la cour où se trouvent quelques maisons rustiques, basses et couvertes de paille ; les unes étaient destinées aux factionnaires, les autres servaient d’écurie aux chevaux.

Toutes les constructions sont entourées d’une haie de branchages, qui n’offrirait aucune résistance aux attaques du dehors : mais aussi, jour et nuit, on tenait un cheval tout sellé, et, en cas de danger, on pouvait aller promptement donner l’alarme et chercher du secours. Toutes ces précautions et tous ces moyens de défense n’ont plus aujourd’hui de raison d’être, l’ennemi n’existant plus. Ce sont des souvenirs du passé.

Les habitations des Cosaques sont en bois enduit de terre glaise, et blanchies à la chaux. Les toits sont revêtus de chaume ; les planches ne le remplacent que sur les maisons des habitants aisés.

Leur intérieur se distingue de celui des populations aborigènes par la propreté et un certain confort. Elles sont, avec leurs dépendances, entourées de treillages cachés sous l’ombre d’arbres touffus. Leur aspect est charmant dans ce nid de verdure.

On retrouve encore dans toute leur vivacité les traditions de l’existence si belliqueuse que menaient les Cosaques il y a quelques années à peine. Ce n’était