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du Don. Aux détails qui vont suivre et que je trouve dans mes notes, je mêlerai quelques communications dues à l’obligeance de M. Merès, qui connaît parfaitement cette contrée et ses habitants. Tout ce qui s’étend à gauche de la grande’route forme le pays des Kalmouks nomades[1]. On entre dans les steppes. La première impression est bien loin d’être agréable. L’œil se fatigue en vain à chercher quelques vestiges d’une habitation fixe, les signes extérieurs d’une civilisation quelconque : il s’égare dans l’immensité. Pas un arbuste, pas une haie ; rien pour interrompre la monotonie de cette solitude sans bornes. La chaleur brûlante du soleil d’été, l’absence de toute verdure, portent à douter que cette terre puisse produire aucune plante. Cependant le sol y est presque partout fertile, le plus affreux de et le Russe, établi dans le voisinage, sait tirer de la culture ce qui lui est indispensable pour vivre. Il est vrai que ce n’est qu’au prix de beaucoup de travail et de persévérance.


Kalmouk.

Les nomades sont divisés en oulousses. Chaque oulousse se compose de plusieurs khotounes ou villages ambulants, changeant de place à volonté, et comptant plus ou moins de kibitkas, tendues l’une à côté de l’autre. Ce sont, pour ainsi dire, des camps volants. Je conseille aux amateurs de la vie primitive et des mœurs patriarcales de rendre visite aux Kalmouks : ils y trouveront, j’en suis certain, de nouvelles émotions.

Au premier aspect, la vie active ne se révèle par aucun indice. En général, les hommes s’absentent de leur demeure pendant la plus grande partie du jour et de la nuit. Ils vont au travail, c’est-à-dire au pillage chez les peuplades voisines qui ne sont pas de leur race. Les femmes et les enfants cherchent, pendant ce temps, un abri contre les ardeurs du soleil ; ils se cachent de leur mieux, sous leurs kibitkas trouées de toutes parts. Le mouvement extérieur ne commence que vers la tombée de la nuit, quand on rentre les bestiaux. Un tapage assourdissant s’élève alors de tous côtés : on entend des cris, des jurons mêlés aux mugissements des bêtes à cornes, aux aboiements des chiens et aux vagissements des marmots.


Kalmouk.

La kibitka, ou tente d’un Kalmouk, est un réceptacle d’immondices : c’est le tableau le plus affreux de la misère. Elle est toute déchirée et le vent y a beau jeu. On y voit pèle-mêle, dans un désordre indescriptible, des malles, des valises, des coffres, des lazzos, des selles, des haillons entassés les uns sur les autres. L’âtre seul atteste qu’il y a là un foyer de famille ; il sert de cuisine et de lieu de repos pour la nuit ; les enfants s’y enterrent dans la cendre toute chaude, leur unique couverture pendant les froids.

Les vêtements des hommes et des femmes n’ont rien de remarquable : ce sont des amas de lambeaux de toute espèce. Beaucoup d’enfants, garçons et fillettes, jusqu’à l’âge de dix ans, vont à peu près tout nus pendant les chaleurs de l’été. En hiver, par des froids de trente degrés, et par les terribles chasse-neiges, si communs dans

  1. Les Kalmouks, qu’on appelle aussi Eleuths ou Derbets, sont de race mongole : leur religion est une altération du Bouddhisme.

    On ne croit pas que le nombre actuel de leurs tentes soit de plus de 15 000. Avant 1771, on comptait entre le Caucase et le fleuve Oural plus de 2 500 000 âmes, qui, ne pouvant plus supporter les vexations de l’administration russe, retournèrent à l’extrémité de l’Asie.