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homme civilisé n’avait foulés avant nous : notre proximité de l’axe du globe, la certitude que, de nos pieds, nous touchions une terre bien au delà des limites des découvertes précédentes, les pensées qui me traversaient l’esprit en contemplant cette vaste mer qui s’étendait devant nous, l’idée que peut-être ces eaux ceintes de glaces baignent les rivages d’îles lointaines où vivent des êtres humains d’une race inconnue, tout cela paraissait donner je ne sais quoi de mystérieux à l’air même que nous respirions, tout cela excitait notre curiosité et fortifiait ma résolution de me lancer sur cet Océan et d’en reconnaître les limites les plus reculées. Je me rappelais toutes les générations de braves marins qui par les glaces et malgré les glaces, ont voulu atteindre cette mer, et il me semblait que les esprits de ces hommes héroïques, dont l’expérience m’a guidé jusqu’ici, descendaient sur moi pour m’encourager encore. Je touchais pour ainsi dire « la grande et notable chose » qui avait inspiré le zèle du hardi Frobisher ; j’avais accompli le rêve de l’incomparable Parry.

Terminons ici l’héroïque relation. — Le 3 juin, après deux mois d’absence, et deux mille quatre cents kilomètres de glaces, franchis au prix d’efforts surhumains, Hayes rentra au port Foulke. Là, un examen attentif de son navire ne tarda pas à mettre fin à toutes les espérances qu’il avait pu conserver de lui faire entreprendre
M. Hayes, arrivé à la mer libre, arbore le pavillon étoilé. — Dessin de A. de Neuville d’après le docteur Hayes.
une nouvelle campagne dans le détroit de Smith. Le mauvais état de sa coque et de son gréement n’admettait qu’un prompt retour dans les ports de l’Union. Là seulement on pouvait l’équiper à nouveau, lui adjoindre un steamer, conserve indispensable, et réunir les ressources nécessaires à de nouvelles tentatives que faciliteraient, du reste, l’expérience acquise et les faits observés.

Le 14 juillet, le schooner quitta son mouillage et rentra dans la baie de Baffin. À Upernavik, Hayes fut assailli comme d’un coup de foudre, par la nouvelle inattendue de la guerre civile qui déchirait sa patrie. Par le travers d’Halifax, le bulletin sanglant de la bataille de Bull-Run tomba entre ses mains… « Alors, dit-il, Je ne pouvais plus hésiter ; adieu à tous mes plans, à toutes mes découvertes projetées ! Sans une minute de retard, j’écrivis au président Lincoln pour mettre immédiatement à sa disposition mon pauvre navire et ma personne. »

Le schooner fut transformé en canonnière de côtes. Hayes, promu chirurgien militaire de première classe, resta jusqu’à la fin de la guerre directeur de l’un des grands hôpitaux de l’armée fédérale.

Pour extrait et traduction,
F. de Lanoye.