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mât, et notre flamme de signaux flottait à l’arrière. Le soleil brillait sur le port, l’enthousiasme débordait, chacun se sentait prêt aux plus dures épreuves.

Les applaudissements éclatèrent pendant que je descendais l’escalier du navire. À un signal donné, Radcliffe, auquel je laissais le soin de la colonie, tira le canon. « En route ! » cria Mac Cormick ; les fouets claquèrent, les chiens sautèrent dans leurs colliers, les hommes tirèrent sur leurs câbles : nous étions partis.

Je n’imposerai pas au lecteur l’ennui de me suivre pas à pas pendant les trois semaines. suivantes. — Il me suffira de dire que la tempête continua avec la même violence et ne s’arrêta enfin qu’après avoir soufflé pendant dix jours. Mais elle ne put nous tenir longtemps renfermés, et, dès le 9 avril, nous nous mettions à l’œuvre.


Hans enterrant sa belle-mère (voy. p. 150). — Dessin de A. de Neuville d’après le docteur Hayes.

Après avoir été chercher nos provisions au cap Hatherton, nous nous dirigeâmes vers la terre de Grinnell, avec des traîneaux faiblement chargés dont les chiens tiraient les deux plus petits. Le vent glacé, insupportable d’abord à nos hommes, tourna au sud, et, nous poussant devant lui, nous incommoda moins ; mais d’autres embarras nous avertissaient de la difficulté de la tâche que nous avions entreprise. À force de serpenter à droite ou à gauche, et de revenir sur nos pas lorsqu’il était impossible d’avancer, nous réussîmes à franchir les quelques premiers kilomètres sans trop de peine, mais bientôt le sol devint impraticable au delà de toute description. Le détroit en entier était un vaste chaos de rochers de glace accumulés les uns sur les autres en énormes monceaux aux faîtes aigus et aux pentes raboteuses ; ils laissaient à peine entre eux quelques pouces carrés de surface plane : les malheureux voyageurs avaient à cheminer dans ces glacis presque inextricables ; il nous fallait souvent escalader des barrières de dix pieds de hauteur relative, de cent pieds au-dessus du niveau de la mer.

Les intervalles de ces prodigieux monceaux sont remplis jusqu’à une certaine profondeur de neiges poussées par les vents. Qu’on s’imagine nos traîneaux cahotants travers les enchevêtrements confus de ces glaces déchirées, les hommes et les chiens poussant ou tirant leurs fardeaux comme les soldats de Napoléon leur artillerie dans les passages abrupts des Alpes. Nous nous hissons péniblement au sommet des rampes élevées qui nous barrent la route ; à la descente, le traîneau est précipité sur les parois anguleuses, quelquefois chaviré, souvent brisé. — Après avoir inutilement essayé de franchir quelque crête plus rude que les autres, il nous faut nous ouvrir un sentier au pic et à la pelle, pour être encore forcés de retourner en arrière et de chercher un passage moins impraticable ; de loin en loin, nous avons la chance de rencontrer quelque « brèche » sur la surface inégale et tortueuse de laquelle nous pouvons cheminer pendant un ou deux kilomètres avec une facilité relative. Les neiges amassées par le vent sont parfois un obstacle, parfois une aide bienvenue. La surface gelée, mais pas assez fortement, se brise sous les pas de la manière la plus désagréable et la plus irritante : elle ne peut pas toujours porter le poids du corps, et un pied s’enfonce au moment où l’autre se lève. — Les dépressions qui séparent les hummocks sont souvent