oubliant un moment le but de mon excursion, je ne pus résister à l’envie d’essayer ma carabine. Jensen et moi tuâmes chacun deux énormes mâles. Nous eûmes plus tard la preuve que ces animaux abondent sur les deux côtés du fiord.
Le glacier, découvert d’abord par le docteur Kane, en 1855, fut visité plus tard par son frère, aide-chirurgien dans l’expédition de la Recherche, envoyé par les États-Unis, sous les ordres du capitaine Harstene, et reçut du premier le nom de « Glacier de mon frère Jean ; » l’équipage se contente de Frère Jean tout court. Nous l’avions fréquemment vu de la baie et du sommet des collines, mais c’était la première fois que nous en approchions ; — nous sommes revenus chez nous juste à l’heure du dîner, très-fatigués et transis.
Le thermomètre avait baissé et la bise soufflait d’autant plus aigre.
Le lendemain elle rugissait encore sans merci ; cependant elle ne put m’empêcher d’aller visiter de l’autre côté du fiord, à sept kilomètres au nord-ouest, ce que nous appelions en 1853 le village d’Étah ; la hutte que je connais si bien était inhabitée ; des vestiges nombreux me montraient toutefois qu’elle n’était pas restée sans maître depuis la nuit de décembre 1854, cette nuit de froidure et de misères que je n’oublierai jamais.
Il ne faisait plus jour, même à l’heure de midi ; cependant
l’obscurité ne nous enveloppait pas encore, et
la pleine lune ajoutant sa clarté à celle du crépuscule
arctique, je songeai à exécuter mon projet d’une longue
Rennes sauvages. — Dessin de O. de Penne d’après des sujets du Muséum.
excursion sur le glacier. — Les rafales du vent s’étaient
un peu calmées, et la réussite de ce petit voyage paraissait
plus que probable. Quant aux grandes explorations
vers le Nord, impossible d’y penser déjà. En dehors
de Port Foulke, l’eau n’était pas gelée, et les vagues
de la mer se brisaient encore sur le cap Alexandre et
le cap Ohlsen, les deux promontoires qui au Sud et au
Nord terminent la baie de Hartstene. Évidemment un
large espace se trouvait libre à l’ouverture du détroit
et s’étendait jusqu’aux « eaux du Nord. » Quand le
vent soufflait de ce côté, il fendait et brisait la glace
au loin dans notre baie pour la repousser ensuite vers
la mer aussitôt qu’il portait vers l’est.
Je formai ma petite caravane de M. Knorr, mon secrétaire, de deux matelots énergiques et résolus, de l’Esquimau Pierre et du volontaire Harvey Heywood « planteur de choux » du Far-West qui s’est joint d’enthousiasme à l’expédition bien que je n’aie pu lui offrir dans le navire qu’une position bien inférieure à son mérite[1].
Le 22 octobre, nos préparatifs étaient terminés : un traîneau portait une petite tente de toile, deux peaux de buffle en guise de matelas, une lampe à cuisine et des provisions pour huit jours ; notre équipement personnel ne sera pas long à décrire : chacun de nous avait une paire de bas de rechange en fourrure, une tasse de fer-blanc et une cuiller de fer.
La petite troupe se mit en route et ne s’arrêta qu’au pied du glacier ; un premier campement, chose assez peu divertissante en soi, a presque toujours quelque
- ↑ M. Heywood, pendant la guerre civile, a noblement conquis un grade d’officier dans l’état-major du corps du génie militaire.