Page:Le Tour du monde - 17.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre goëlette. Maintenant que tout est en règle, je me sens beaucoup plus de liberté et je vais me lancer dans quelques courtes explorations, pendant que le crépuscule dure encore. Aussitôt qu’il m’a été possible, j’ai mis mes gens à l’œuvre pour préparer les divers objets nécessaires à nos campements de voyage. Tout est en ordre depuis quelques jours, mais l’état de la température ne nous a permis que de courtes absences et nous glissons insensiblement dans la nuit.

Ce soir je me couche content : j’ai fait une promenade magnifique. Je suis parti en poste d’assez bonne heure et conduit par maître Jensen, j’ai visité un petit fiord de dix kilomètres de longueur sur trois à six de largeur, qui est situé au nord de notre anse dont il a pris le nom ; c’est l’échancrure la plus orientale de la baie de Hartstene. Notre départ a été superbe. Un beau traîneau et douze chiens ! Ils sont tous en parfaite santé et courent comme l’éclair. Mon traîneau groënlandais sillonne la glace avec une célérité qui donnerait le vertige à des nerfs mal exercés. Onze kilomètres en vingt-huit minutes, et sans s’arrêter pour souffler ! ils ont refait la même route en moins de trente trois. Sonntag et moi luttions de vitesse, et je l’ai gagné de quatre minutes. Ah ! si mes amis de Saratoga ou de Breeze-Point pouvaient de loin contempler ces coureurs d’un nouveau genre ! Point n’est besoin d’éponger les chiens ou de les bouchonner : on les attelle au moyen d’un seul trait de dimension variable ; les plus longs sont les meilleurs ; ils ne s’emmêlent pas si facilement ; le tirage des chiens placés sur les côtés en est beaucoup plus direct, et si vos coursiers vous entraînent sur la glace amincie, vos chances d’échapper au plongeon sont en proportion de la distance qui vous sépare d’eux. Les traits étant ordinairement de même longueur, les chiens courent côte à côte, et s’ils sont bien attelés, leurs têtes se trouvent sur la même ligne droite ; les épaules des miens sont juste à vingt pieds de la partie antérieure des patins. Les animaux les plus faibles sont placés au milieu et l’attelage entier est dirigé à droite ou à gauche, suivant le côté où le bout du fouet touche la neige ou frappe les chefs de file s’ils n’ont pas tout de suite compris l’avertissement. On s’aide bien de la voix, mais ce n’est que sur le fouet qu’on peut réellement compter : votre influence sur l’attelage est en raison directe de la manière dont vous savez le brandir. Le fouet esquimau a toujours quatre pieds de plus que les traits et se termine par une mince lanière de nerf durci avec laquelle un habile conducteur fait couler le sang à volonté ; il sait même indiquer d’avance l’endroit où il touchera le réfractaire. Pendant notre course d’aujourd’hui, Jensen me montrait un jeune chien qui venait de mettre sa patience à une rude épreuve : « Vous voyez cette bête, me disait-il en mauvais anglais, je prends un morceau de son oreille ! » Et comme il parlait encore, le fouet claquait dans l’air, le nerf s’enroulait autour du petit bout de l’oreille et l’enlevait aussi promptement que l’eût fait un couteau.

Ce fouet n’est autre chose qu’une mince bande de