même ou nous distinguions la petite église à pignons adossée à la colline noire.
Maintenant nous allons avoir à compter non-seulement
avec les glaces, sous toutes les formes et sous
toutes les dénominations — iceberg[1], pack, floe, — mais
encore avec les courants et les vents, venant de tous les
points de l’horizon se heurter et se confondre au centre
de la baie de Baffin. Là s’étend l’immense pack du milieu, que tout navigateur, tout baleinier, à la destination
des eaux du Nord, c’est-à-dire du débouché
des détroits de Smith, de Jones et de Lancastre, est
obligé de contourner par l’est, bien heureux lorsqu’il
n’est pas arrêté une fois sur deux par la soudure du
terrible pack avec la glace des côtes qui remplit presque
en tout temps la concavité de la baie de Melville.
Les rivages de cette baie apparaissent sur la carte
comme une simple courbe décrite par la ligne de
côtes du Groënland septentrional, mais le marin donne
à ces parages une bien plus grande extension que le
géographe. Il comprend, sous le nom de baie de Melville,
toute la partie orientale de la baie de Baffin qui
commence au sud avec la glace du milieu, et se termine
à l’autre extrémité avec les eaux du Nord ; l’espace
de mer ouverte désigné par cette appellation ne
s’étend guère au sud du soixante-seizième parallèle et
La baie de Melville en été. — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine de Haven (Grinnell expedition).
souvent doit être cherché plus haut. Quant à l’immense
radeau formé par le Pack ou glace du milieu, il
s’étend de cette limite jusqu’à celle du cercle polaire.
Toujours plus ou moins en mouvement, il semble obéir
à l’impulsion des courants venant du pôle, ainsi que
le prouvent de nombreux faits tirés de l’histoire de la
navigation moderne et notamment la dérive du célèbre
petit steamer le Fox[2], qui, scellé dans un des replis de
l’immense radeau glacé par la latitude du cap York,
descendit avec lui vers le sud, pendant neuf mois, et
ne fut délivré que sous le cercle arctique.
Telle était l’avant-scène du théâtre de nos opérations projetées, tels étaient les obstacles que nous avions à vaincre avant le début.
Nous traversions une mer que pas un navire n’a parcourue sans rencontrer les glaces ; et de quel droit m’attendre à une autre fortune pour notre goëlette ? Le brouillard était si intense qu’à peine pouvait-on distinguer la vigie sur le gaillard d’avant ; puis la neige commençait à tomber, la grêle bruissait, le vent sifflait à travers le gréement et les lourdes vagues déferlant sur nous inondaient les ponts et menaçaient de nous engloutir : je n’oublierai jamais nos dix premières heures dans la baie de Melville.
Vers la fin de cette course folle et désordonnée, mon
- ↑ Iceberg, montagne de glace flottante détachée des glaciers des terres arctiques ; — Pack, amas de glaces de grande étendue, formé de l’entassement et de la superposition des glaces de toutes provenances et de toute origine, mêlées par les courants et les tempêtes ; — Floe, champ de glace marine formée par la congélation de l’eau de mer.
- ↑ The voyage of the Fox, by captain M’.Clintock. 1857-1859. — Voy. Tour du Monde, t. I, p. 18.