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ciel, et les nuages, et la mer, et les glaces, et les montagnes sont baignés dans une splendide atmosphère de cramoisi, de pourpre et d’or.

À mon précédent voyage, je n’avais contemplé rien de si beau. L’air rappelait, par sa mollesse, une de nos belles nuits d’été, et cependant nous étions entourés de montagnes nues et de ces icebergs que, dans notre terre aux vertes collines et aux forêts frémissantes, on associe à des idées de froide désolation. Le ciel était brillant et doux comme le poétique firmament d’Italie ; les blocs de glace eux-mêmes avaient perdu leur morne aspect, et tout embrasés des feux du soleil ressemblaient à des masses de métal incandescent ou de flamme solide ; près de nous, et pareil à un bloc de marbre de Paros incrusté de gigantesques opales et de perles d’Orient, se dressait un immense iceberg ; à l’horizon et si loin que la moitié de sa hauteur disparaissait sous la rouge ligne des flots, un autre nous rappelait par sa forme étrange le vieux Colisée de Rome. — Le soleil poursuivant sa course passa derrière lui et l’illumina soudain d’un jet de flammes éblouissantes.

L’ombre des montagnes de glace colorait d’un vert admirable l’eau sur laquelle elle reposait ; mais plus belles encore étaient les teintes délicates des vagues légères glissant sur les pentes de ces îles de cristal. Partout où l’iceberg surplombait, les tons devenaient plus chauds ; sous une cavité profonde, la mer prenait la couleur opaque du malachite alternant avec les transparences de l’émeraude, pendant qu’à travers la glace elle-même courait diagonalement une large bande d’un bleu de cobalt.


Esquimaux groënlandais dans leur campement d’été. — Dessin de A. de Neuville d’après le capitaine Graah.

La splendeur de cette scène était encore augmentée par les milliers de cascatelles qui, de toutes ces masses flottantes, ruisselaient dans la mer, descendant des flaques de neige fondue et de glaces en dissolution qui reposent dans les mornes et vastes replis de la masse flottante. Parfois un large bloc désagrégé, se détachant tout à coup des flancs d’un iceberg, s’abîmait dans les profondeurs avec un fracas épouvantable, pendant que la vague roulait sourdement à travers les arceaux brisés.

Nous fûmes accueillis dans le port de Pröven par la plus singulière flottille et les plus étranges bateliers qui aient jamais escorté un navire. C’étaient les Groënlandais et leurs fameux kayaks.

Le kayak est certainement la plus frêle des embarcations qui aient jamais porté le poids d’un homme. Construite en bois très-léger, la carcasse du bateau a neuf pouces de profondeur, dix-huit pieds de longueur et autant de pouces de large, vers le milieu seulement ; elle se termine à chaque bout par une pointe aiguë et recourbée par le haut. On recouvre le tout de peaux de phoques rendues imperméables, et si admirablement cousues par les femmes au moyen de fil de nerfs de veaux marins, que pas une goutte d’eau ne passerait à travers les coutures ; le dessus du canot est garni comme le fond ; seulement, pour donner passage au corps du chasseur, on a laissé une ouverture parfaitement ronde et entourée d’une bordure de bois sur laquelle le Groënlandais lace le bas de sa blouse