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d’autres envoyés, jamais il ne les retiendrait. Je lui demandai s’il consentirait à ce que des blancs vinssent avec un canot pour descendre le fleuve. Il allait répondre quand Bobo lui parla à l’oreille, et il me dit : « Quand mes envoyés seront revenus de Saint-Louis, je saurai ce que je dois faire. »

Le 11, j’allai faire mes adieux, qui furent accompagnés, chez tous ceux dont j’avais eu à me louer, de promesses de cadeaux, et comme j’étais près de mon départ, je fus non-seulement bien reçu, mais j’obtins même de quelques habitants des témoignages de grande confiance ; c’est ainsi qu’Oulibo m’avoua que Bobo perdait Ahmadou aux yeux de tous les Talibés, et que quant à lui il n’était pas sans crainte pour leur avenir, si Ahmadou continuait à écouter ce favori en tout et pour tout.

Vers trois heures et demie lorsque le jour parut, le 7 mai 1866, j’avais quitté Ségou-Sikoro pour n’y plus rentrer.

Avant le départ j’avais désiré régler le sort des deux femmes esclaves qu’Ahmadou nous avait données pour notre service, peu après notre arrivée. Suivant Ahmadou je pouvais les emmener, les vendre ou les lui rendre, mais lui, ne pouvait consentir à ce que je les laissasse libres, parce que cela n’était pas dans les usages. J’insistai cependant pour leur donner la liberté, mais Ahmadou s’y refusa formellement.

Nous fîmes savoir à ces deux captives la volonté du roi, leur laissant le choix de rester ses esclaves ou de venir avec nous pour être libres au Sénégal, promettant de leur donner une case et de quoi vivre à Bakel ou à Médine.

Elles choisirent de rester esclaves, mais en me disant : « Tu es notre maître, si tu veux nous te suivrons, mais ce que nous aimerions mieux ce serait de rester. » Cette résolution ne m’étonna point. Esclaves de naissance, filles d’esclaves dans un pays d’esclaves, le mot libre ne pouvait éveiller chez elles aucune aspiration. À Ségou elles retrouvaient leur famille, leurs amitiés. Que leur importaient Bakel, Médine ou la liberté !

Il ne nous restait plus qu’à les traiter le plus généreusement possible, et nous le fîmes.

À partir du Niger, notre route de retour fut, à peu près, la même que celle que nous avions suivie en venant. À Tomboula laissant le Diangounté sur notre gauche nous remontâmes vers le nord à travers le Bakhounou et nous dûmes croiser plus d’une fois le chemin suivi jadis par Mungo-Park, lorsque s’enfuyant de chez les Maures Oulad-Imbariks, il s’avançait au hasard vers les rives du Djoliba. Le chef de Ouasibougou (le Wasibou du voyageur anglais), vieillard blanchi par quatre-vingts hivers, me dit qu’il se rappelait, comme un souvenir d’enfant, le passage de l’homme blanc, se dirigeant, pauvre, misérable, mais animé d’une indomptable résolution, vers le grand fleuve, d’où il n’était pas revenu.

À Tomboula notre petite caravane se trouva exposée à un de ces désordres si communs dans ces contrées mal gouvernées, et qui rappellent les plus mauvaises époques de l’histoire de notre Europe. Au milieu du profond repos que nous rendaient nécessaire les fatigues des jours précédents, le tabala se fit tout à coup entendre. Une razzia tombait sur les lougans du village, une bande de cavaliers poussaient devant eux les chameaux et les ânes des Maures qui nous accompagnaient, et poursuivaient, dans tous les sens, les captifs et les enfants qui travaillaient dans les champs ; mais bientôt la scène changea. Toute notre escorte sortit avec mes laptots bien armés.

En moins d’une demi-heure, une douzaine de ces assaillants tombaient sous les coups de nos hommes, et mon brave Déthié, bien qu’à pied, en prenait un vivant, qui fut amené ainsi que cinq ou six autres plus ou moins blessés.

On les interrogea, et l’on sut que cette bande de pillards était dirigée par les Massassis de Guéméné.

Après cet interrogatoire, on les livra aux Talibés pour être exécutés. Leurs bourreaux étaient malhabiles, leur supplice fut horrible, et pour ne pas en être trop impressionné, je dus me rappeler ces mots de Raffenel, parlant du Kaarta : « Ce pays ne renaîtra que lorsque le dernier des Massassis aura été exterminé. »

À Nioro ou nous amenèrent des marches forcées, je trouvai tout l’état-major des forces musulmanes qui maintiennent le Kaarta dans la dépendance de Ségou. À une étape plus loin, nous rentrâmes dans l’itinéraire de Raffenel en 1846.

À Koniakary on me conseilla de marcher de compagnie avec tout mon monde, afin de ne pas m’exposer à une rencontre et à un pillage des Maures. Mais mon impatience ne me le permettait pas ; à six heures, le 28 mai, je quittai Koniakary et me dirigeai sur Médina, village de Khartoum Sambala, auquel j’avais à donner des nouvelles de sa fille, première femme de Samba N’diaye, à Ségou. Il me reçut avec affabilité et me fit servir un déjeuner de couscous et de lait frais. Je pris ce repas avec d’autant plus de plaisir, que partout sur ma route j’avais vainement demandé du lait de vache ; la réponse était partout la même : « Les vaches sont mortes. »

Après une heure d’arrêt je quittai le village, et nous commençâmes une lutte avec nos chevaux ; les éperons ne cessaient de déchirer les flancs de ces pauvres bêtes auxquelles de temps en temps nous réussissions à faire prendre le galop. Vers dix heures et demie nous arrivâmes à Kana-Makounou, où le marigot était presque sec. Il y avait de l’eau dans des mares ; nous fîmes rafraîchir nos montures et reprîmes notre course.

Bientôt j’aperçus des montagnes devant nous, et sur la gauche je reconnus la fameuse montagne de Dinguira. Le docteur, à qui je le disais, ne pouvait croire à cette nouvelle, et Ali Abdoul, le chef de notre escorte, qui n’était jamais venu sur cette route, ne pouvait le renseigner ; néanmoins nous pressions d’autant plus nos montures, et tout à coup je m’écriai : « Voilà le poste ! » Le docteur parvint à faire prendre le galop à sa jument ; mais mes coups d’éperons aussi bien que ceux d’Abdoul furent vains sur nos montures