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dant de ce fort) s’y était rendu par eau en pirogue. Cependant, dès le premier jour, je fus arrêté par un barrage de roches. Le lendemain, j’en franchissais cinq ; mais, arrêté par l’importance du sixième, je dus renoncer et revenir prendre un supplément d’équipage et de vivres. Dans cette première excursion, où M. Poutot, alors lieutenant du génie, commandant à Médine, m’accompagnait, j’avais dressé la carte du fleuve dans sa partie navigable. Dans ma deuxième tentative, où je réussis à remonter jusqu’au village de Banganoura, j’étais accompagné du docteur L’Helgoual’rh, chirurgien du poste. Nous ne rencontrâmes pas moins de onze barrages dont plusieurs nous obligèrent de porter le canot à bras par-dessus les roches. D’autres ne purent être franchis qu’à la touline[1] ; d’autres enfin qu’en faisant mettre tout le monde à l’eau pour traîner le canot à bras dans les rapides, non sans difficulté et sans danger.

À Banganoura, la succession des rapides, la violence du courant, ne me permettant plus d’avancer, je débarquai et j’allai reconnaître la route par terre afin de m’assurer de la possibilité de transporter le canot au-dessus des chutes pour continuer nos explorations du fleuve. J’étais à environ une demi lieue de Gouïna ; la route, simple sentier, traversait une colline rocheuse, deux petits ravins ; mais avec le dévouement et l’adresse de mes laptots, je pouvais triompher de ces difficultés. Rassuré sur ce point, j’allai admirer et dessiner la superbe chute du fleuve, et je redescendis à Médine.


Fort de Bakel. — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.

Ces deux excursions qui m’avaient pris cinq jours pleins, m’avaient laissé, en dépit de fatigues écrasantes, en très-bonne santé. J’avais dressé la carte exacte du fleuve de Médine à Gouïna. J’étais sûr de pouvoir continuer mon expédition en amont de cette chute. Mon enthousiasme ne faisait que s’accroître ; mais aussi je redoublais de précautions pour surmonter toutes les difficultés que me faisait prévoir le transport d’un aussi fort matériel avec si peu d’hommes et de moyens.

Revenu à Médine, je renvoyai le canot à Banganoura, chargé de vivres, de sa charrette et de tout ce qu’il pouvait porter pour une navigation aussi délicate. Je confiai ce transport à Samba Yoro, qui avait fait les premiers voyages avec moi. Il appréciait toutes les difficultés de l’opération, mais c’était un homme entreprenant, et il n’hésita pas. Arrivé à Banganoura, il obtint du chef du village une case pour mettre mes provisions à l’abri, les confia à Déthié N’diaye qui resta à la garde du canot avec Sidy, et vint me rejoindre à Médine.

Je quittai définitivement Médine, le 25 novembre 1863, au matin. La veille, au soir, j’avais fait charger mes ânes et j’avais envoyé ma caravane camper à côté de la chute du Félou ; je me ménageai ainsi une économie de temps assez considérable, car les premiers chargements et déchargements en route sont très-difficiles ; les noirs y apportent le désordre qui leur est habituel ; les avis qu’on leur donne sont à peine écoutés, les ordres mal exécutés, et les chargements sont a peine faits qu’ils tombent souvent à terre : c’est ce

  1. Opération qui consiste à faire tirer de terre le canot au moyen d’une corde légère.