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C’est à ce prix que j’ai pu relever topographiquement sur une soixantaine de lieues les rives et les cours du grand fleuve du Soudan et dresser la première carte exacte de cette section de son bassin.

Le second jour de notre marche nous longeâmes, par une chaleur ardente, sous un ciel de plomb, une ligne d’étangs qui semblent devoir former dans la saison des hautes crues un second fleuve parallèle au Niger. Il y avait là beaucoup de perspectives vraiment admirables, et de belles plaines d’une splendide fraîcheur, déroulant leur verdoyant tapis d’herbages jusqu’aux bornes de l’horizon, en dépit de la saison sèche alors à son apogée. Malheureusement, ces pâturages favorisés où des milliers de bestiaux s’engraisseraient à l’aise, étaient complétement déserts. Les villages qu’ils pourraient si bien enrichir étaient détruits ou abandonnés. Le plus beau des étangs de cette contrée (il mériterait le nom de lac) porte le nom de Mira.

Arrivé à Yamina, Ahmadou n’eut rien de plus pressé que de frapper cette ville de fortes impositions de guerre. Quant à moi, j’allai visiter mon ancienne habitation, la case de Sérinté. Le vieux chef n’y était plus depuis plusieurs mois ; on l’avait accusé de complot, et il avait été appelé à Ségou avec ordre d’y fixer sa résidence. Je trouvai son fils qui commençait a être un homme, et ses femmes qui me reçurent avec effusion et me remercièrent de ma visite comme d’un honneur auquel elles ne s’attendaient pas.


Chasse à l’antilope (voy. p. 98). — Dessin de Émile Bayard, d’après l’album de M. Mage.

Je suis sûr que dans cette maison on garde un bon souvenir des voyageurs blancs.

Nous regagnâmes Ségou par une suite de marches forcées, en doublant, pour ainsi dire, les étapes ; la route était couverte de soldats qui, cédant à la fatigue, s’étaient couchés et ne pouvaient se relever. Je fus tenté plus d’une fois de les imiter.

J’arrivai à Ségou malade, souffrant d’affreux maux de tête et d’une gastrite aiguë. Pendant bien des jours, mon estomac délabré ne put rien supporter, et cette fois encore ce fut au régime exclusivement lacté que je dus de ne pas succomber. Mes forces étaient épuisées ; cependant de nouveaux ennuis m’attendaient.

Nous étions a la fin de mai et l’hivernage approchait ; je songeais à faire partir un nouveau courrier pour Saint-Louis ; mais c’était la chose dont Ahmadou se souciait le moins. Il se préparait encore à une nouvelle expédition. Chaque jour des détachements partaient en razzias et allaient piller, soit aux environs de Sansandig, soit dans l’Est ; presque toujours ils ramenaient du butin, ce qui montrait assez que le pays était démoralisé. C’était donc le moment de frapper un grand coup, et si Ahmadou eût mieux conduit ses affaires, il aurait pu, en peu de mois, regagner bien du terrain perdu. Mais à Segou les chefs ne sont jamais d’accord avec le roi, et quand ils le sont, les soldats à leur tour sont mécontents. Aussi, bien qu’Ahmadou eût ordonné un nouveau dénombrement de l’armée, personne ne bougeait. Chacun ne songeait qu’à cultiver, ce qui s’expliquait d’ailleurs fort bien, car le mil avait en partie manqué et atteignait un prix exorbitant. Cet état de choses se prolongea jusqu’au 6 juin : alors Ahmadou tint un grand palabre avec les chefs de l’armée qui exposèrent leurs griefs et firent leurs conditions. Ils demandaient :

1o Qu’Ahmadou ne fermât pas sa porte aux Talibés, qui