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quante pas et d’horrifiques moustaches en croc, massacre en louchant affreusement un lion rose qui se laisse faire sans trop de résistance. Le roi est le plus souvent remplacé par Rustem, le héros national de la Perse.

Les Sassanides, je me hâte de le dire, avaient plus de goût, témoin les splendides bas-reliefs de Chahpour. Il y avait à Rey, près Téhéran, un ancien et beau bas-relief sassanide sur un rocher : mais Feth Ali Chah, le prédécesseur du roi actuel, a eu l’inspiration vandalique de faire gratter ce bas-relief et d’y substituer une scène de chasse dont il est le héros. Encore, ce nouveau bas-relief est-il tolérable, comparé à l’ornementation de la Porte-Neuve (dervaseh nou) de Téhéran, qui n’est pas encore finie.

Le voyageur anglais Edward Yves (1758) a vu le Bostan, qui était alors un peu moins ruiné qu’aujourd’hui, s’il est vrai qu’il y eût trois faces, le fleuve formant le quatrième côté : que chaque face eût un mille de long (ceci est improbable) et que les murs eussent quarante pieds de haut sur trente d’épaisseur. Aussi Yves est-il persuadé que c’était un ouvrage avancé défendant Ctésiphon. Comme ce voyageur m’a semblé très-véridique dans sa description de ces ruines en général, je dois croire que de son temps le Bostan avait trois côtés au lieu de deux qu’il a maintenant, et que le mur était beaucoup plus haut.

Ctésiphon, création favorite des Sassanides, a été leur résidence tant que la nationalité persane a duré, c’est-à-dire jusqu’à la conquête musulmane. Parmi les scènes tragiques dont ce palais a été témoin, je choisis une des plus saisissantes.

Le grand Chosroès avait laissé deux filles qui régnèrent l’une après l’autre. La seconde, nommée Azermi-Dokht (Azermi la Vierge) était une très-jeune fille d’une beauté merveilleuse et d’une âme virile. Elle gouverna avec sagesse et fermeté et parut de force à arrêter l’empire sur le penchant de sa ruine : mais elle avait à
Antiquités. — Dessin de Tournois d’après nature.
compter avec la féodalité la plus orgueilleuse, la plus lâche et la plus égoïste qu’on pût imaginer, et qui, imbue des préjugés orientaux, regardait comme un opprobre d’obéir à une jeune fille. Il y avait parmi ces chefs un général de l’armée, qui eût bien voulu réussir à épouser la reine et par conséquent à devenir roi des rois : pour cela il ne trouva rien de mieux que de feindre pour Azermi la plus violente passion, supposant, avec la fatuité commune aux Persans (qui sont généralement de beaux hommes) que la princesse serait sensible au bonheur d’être aimée « pour elle-même » et non pour le trône. Il jugeait mal cette jeune fille douée d’une expérience précoce. Elle lut fort bien dans son jeu, et furieuse d’une prétention qu’elle regardait comme la plus grosse insulte, mais craignant de lui rompre en face, elle feignit d’être touchée de ses sentiments et lui accorda un rendez-vous nocturne au palais même. Il est vrai qu’elle n’y alla pas, et l’amant présomptueux trouva à sa place quelques bourreaux qui firent prestement leur office.

Ce châtiment mérité, mais qui empruntait les formes d’un guet apens, fut trop cruellement puni. Le fils du général exécuté commandait sur la frontière orientale : il accourut suivi de quelques troupes qu’il avait fait révolter, s’empara de la reine-vierge que l’armée eut la lâcheté de ne pas défendre, lui fit couper la langue, les seins, crever les yeux, et finalement mettre à mort après bien d’autres tortures que j’abrége. Ainsi périt une jeune fille qui aurait été un grand roi dans un pays moins troublé et moins dégénéré. Les Arabes se chargèrent quelques années plus tard, de la venger dans le sang de son assassin et de la triste armée qui ne sut pas mieux défendre son pays qu’elle n’avait défendu sa souveraine.

Nous repartons de Ctésiphon vers les dix heures du matin, et grâce à plusieurs temps de galop, nous rentrons de bonne heure au consulat sans avoir remarqué sur la route rien de bien intéressant, sauf que les eaux de la Diyala sont grises de sauterelles noyées. La Ba-