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pour en faire une carrière à matériaux. Mais la masse de ce palais était si imposante que le vizir dissuada son maître d’entreprendre une démolition qui, disait-il, ne pouvait se faire que par miracle, et était par conséquent réservée au prophète seul. « Si vous l’entreprenez et que vous ne puissiez en venir à bout, dit-il au khalife, vous serez la risée du monde entier, pour n’avoir pu faire un bel ouvrage sans en ruiner un autre également beau. » Le prince s’obstina, employa force ouvriers à cette besogne, et ne réussit qu’à entamer l’imposante construction : il se rebuta alors, et fut raillé par les gens de goût, notamment par un poëte persan, qui fit ces vers :

« Admirez ce privilége et cette récompense des belles œuvres : — Le temps qui dévore tout n’a pu triompher de l’arc de Chosroès ! »

Je sais qu’en plaçant l’ancienne ville au nord du Tak-Kesra, je ne suis pas de l’avis de M. Oppert, qui signale, un peu au sud du Tak, une ligne de tumuli fermant la péninsule que forme là l’énorme courbe du Tigre, et pense que Ctésiphon a rempli cette péninsule. C’est une affirmation très-hasardée, et je crois que le savant cunéiformiste n’a vu la plus grande partie de ces terrains, que de loin, car voici en quels termes il décrit le Bostan, dont je vais parler tout à l’heure :


Tour ruinée d’Akerkouf (voy. p. 94). — Dessin de A. de Neuville d’après un croquis de M. G. Lejean.

« À l’est du Tak Kesra, mais environ à une lieue de là, on voit les restes d’un mur carré sur trois côtés, à l’est, au nord et à l’ouest : la partie sud serait parallèle au Tigre, si elle existait. Ces débris ne me semblent pas de l’époque sassanide et pourraient avoir une origine babylonienne. Ce fut, selon nous, la citadelle de Ctésiphon, qui se composait de la cité royale, de la ville propre et de la forteresse. Cette citadelle avait été la partie la plus antique de la cité. »

On peut voir, sur mon plan, les erreurs matérielles contenues dans ce passage. Quant à ce que dit M. Oppert que les ruines de Bostan lui semblent plus anciennes que l’époque sassanide, je ne sais sur quoi il fonde son opinion : car c’est un monceau d’abominables ruines, qui pourrait tout aussi bien dater des khalifes, tant elles ont perdu tout caractère essentiel. Ce qui prouverait davantage en faveur de l’antiquité du lieu, ce serait la circonstance (dont je ne suis pas sûr) de la trouvaille en cet endroit du précieux caillou de Michaux, pierre couverte d’une longue inscription cunéiforme et qui est une des curiosités de notre musée du Louvre.

Dans la plaine, à demi-portée de fusil du Tak, un camp arabe dresse ses tentes sombres. Ces Bédouins remplissent toute la plaine jusqu’au pied des montagnes qui avoisinent la frontière persane. On voit fréquemment de ces maigres nomades à Bagdad, venant vendre la laine de leurs troupeaux ou divers produits d’occasion, comme des peaux de panthères ; mais, en gé-