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Le lac Bindia. — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. G. Lejean.


VOYAGE DANS LA BABYLONIE,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN [1].


1966. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


VI


Entrée triomphale à Hillé. — Installation. — Les Juifs de Babylonie. — Les Chaldéens. — Visite aux ruines de Babylone. — Palais. Nécropole. — Citadelle et jardins suspendus. — Le tamarix de Sémiramis. — Le lion devenu éléphant. — Super flumina Babylonis.

Hillé, bâtie sur l’emplacement d’un quartier sud de Babylone, paraît dater des khalifes : il en est parlé dans le voyage de Benjamin de Tudela, qui y trouva une population de dix mille juifs. Je manque de données pour évaluer leur chiffre actuel, mais il ne doit pas dépasser cinq mille, c’est-à-dire le tiers de la population totale. Ces juifs sont d’après toutes les traditions les descendants directs des déportés de Nabuchodonosor : ils remplissent les villes de la Babylonie, retenus là un peu par leurs intérêts, un peu par le voisinage des tombeaux d’Esdras et d’Ezéchiel, qui font de la Chaldée une terre sainte pour eux. Je ne remarque chez eux qu’un détail qui est sans doute commun à tous leurs coreligionnaires de la Turquie d’Asie, mais que je n’ai pas trouvé chez ceux de l’Europe orientale : la séquestration des femmes. Mon hôte avait une fort belle maison partagée par un mur en deux parties parfaitement semblables, chacune consistant en une cour pavée entourée d’une sorte de galerie sur laquelle donnaient le divan ou salon et les divers appartements. Pour aller de l’une à l’autre il fallait passer par la rue. Les deux portes, vraies poternes de citadelles (toute maison dans ce malheureux pays a besoin d’être une citadelle, encore a-t-on vu, à Aleps et à Damas, que ces forteresses-là ne protégent guère leurs faibles habitants), les portes, dis-je, étaient absolument semblables ; si bien qu’une fois, rentrant chez mes hôtes, j’eus une distraction et j’entrai au gynécée. Un voyageur « avantageux » aurait ici une superbe occasion de se montrer — Français : moi qui ne suis ni Bruce, ni X ou Z, que je pourrais et ne veux nommer, je dirai ingénument que je produisis un effet, j’en conviens, — l’effet du bon gendarme tombant dans un pensionnat de demoiselles. Les filles de Sion, aux yeux de velours brun, furent ébouriffées de l’aplomb avec lequel je me préparais à monter au divan ; je me ravisai juste au moment où on allait chercher la garde et m’esquivai après avoir rassuré, d’un salut respectueux, ce groupe charmant et désorienté. Ce fut ma seule bonne fortune en Babylonie ; elle peut se raconter, comme on voit, sans nul scandale.

Si la graine d’Israël prospère de ce côté, les fils de Nabuchodonosor ont été moins heureux. Je doute qu’il reste trois mille Chaldéens dans toute la Babylonie. Ces Chaldéens, tous catholiques du rite oriental et comme

  1. Suite. — Voy. page 49.