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phe ; elle a touché au Cap le 13 juillet, et elle en est repartie le 18. La lueur d’espoir qui peut rester encore de voir démentie la funèbre nouvelle est maintenant bien faible. Un autre voyageur, Gerhard Rohlf, sur lequel des rumeurs, heureusement démenties, avaient donné un moment de vives inquiétudes, est revenu sain et sauf du Soudan central, mais sans avoir pu effectuer le projet qui l’y avait conduit, qui était de pénétrer jusqu’au Ouadâi où Vogel a été assassiné. Forcé de renoncer à son plan, Rohlf a coupé la contrée montagneuse et encore à peu près inconnue qui sépare le Soudan du golfe de Benin, et il a gagné la côte de Guinée d’où il est revenu en Europe. Sa relation, qui sera pleine d’observations scientifiques, ne laissera pas d’enrichir notablement cette partie de la géographie africaine.

D’autres informations, également dues à un explorateur allemand, nous arrivent de l’Afrique australe. Un naturaliste, M. Karl Mauch, a sillonné en divers sens le territoire de l’État libre du Transvaal, qu’aucun voyageur européen n’avait visité jusqu’à présent, et a poussé ses longues reconnaissances dans une partie considérable du pays vierge compris entre le Transvaal et le Zambézi. C’est là encore une excellente acquisition pour la carte d’Afrique, d’autant plus précieuse que l’élaboration des itinéraires de M. Mauch et la publication de ses journaux sont confiées au Dr Petermann, l’habile et savant directeur des Mittheilungen.

De grandes espérances scientifiques s’attachent au voyage de notre compatriote Le Saint vers la région des sources du Nil, entrepris sous les auspices de la Société de géographie de Paris. Ses dernières lettres sont datées de Khartoum, mais il a dû quitter cette ville et se porter vers les hautes régions dans les premiers jours de novembre. Il transmet des renseignements (jusqu’à présent assez vagues) rapportés par les agents de MM. Poncet, sur certaines parties peu fréquentées du bassin supérieur du fleuve Blanc ; mais il en annonce de plus détaillés et de plus précis, que MM. Poncet eux-mêmes doivent très-prochainement faire parvenir en Europe.

L’attention publique s’est portée dans ces derniers temps sur l’expédition militaire que l’Angleterre envoie en Abyssinie. Pour nous, qui n’avons pas à nous préoccuper (d’autres y veillent, sans aucun doute) des raisons secrètes qui peuvent se cacher sous les motifs ostensibles de l’expédition, dans un moment où il est permis de penser que le prochain achèvement du Canal de Suez ajoute à l’importance d’une forte position dans le bas de la mer Rouge, pour nous, dis-je, nous n’y voulons envisager que le profit que la science peut retirer de l’expédition. Non pas que l’Abyssinie soit le pays inconnu que l’on pourrait croire, à entendre les journaux anglais. En ceci, il y a chez eux une prodigieuse ignorance des faits accomplis. Une contrée qui a été sillonnée pendant dix ans et plus, il y a de cela vingt ans à peine, par une légion de voyageurs et d’explorateurs savants, une contrée dont on a publié alors, et plus tard encore, de nombreuses relations et des cartes qui s’appuient sur de longs relevés et d’innombrables observations, — sans parler des voyages des trois derniers siècles et de ceux du commencement du siècle actuel, — une telle contrée est assurément bien loin d’être un pays vierge, géographiquement parlant, et l’armée expéditionnaire n’aura pas à s’y aventurer à travers des déserts inconnus, comme semblent le croire les publicistes d’outre-Manche. L’Abyssinie n’est donc pas à découvrir, quoiqu’il y ait toujours à étudier dans de pareils pays ; mais sous d’autres rapports, l’expédition anglaise mérite une sérieuse attention. M. Lejean rapporte quelque part un propos du roi Théodoros qui annonce une assez bonne dose de perspicacité : « Je connais, disait-il, la tactique des gouvernements européens (la remarque aurait dû être moins généralisée), quand ils veulent prendre possession de quelque pays d’Orient. Ils commencent par envoyer des missionnaires, puis des consuls pour renforcer les missionnaires, et finalement des bataillons pour appuyer les consuls. Je ne suis pas un radjah de l’Hindoustan, pour être joué de la sorte ; j’aime mieux avoir affaire tout d’abord aux bataillons. »

J’aurais voulu dire quelque chose aussi des progrès de notre expédition scientifique sur le haut Mé-kong, qui apportera certainement une abondante moisson de données nouvelles sur des contrées intérieures absolument inexplorées, celles-là. J’aurais voulu aussi donner quelques informations sur le pays que les États-Unis viennent d’acquérir de la Russie, à l’extrémité nord-ouest du continent américain ; j’aurais voulu surtout m’arrêter quelque peu au projet d’expédition polaire dû à notre compatriote Gustave Lambert, projet auquel se sont ralliées toutes les notabilités scientifiques de Paris et de la France, que l’Empereur a honoré d’une éclatante adhésion, et qui comblera, s’il est conduit à terme, comme nous l’espérons, une des dernières et des plus grandes lacunes qui restent encore dans la connaissance du globe. Une souscription publique a été ouverte pour couvrir les frais de l’expédition. Ce ne sont pas les grosses inscriptions individuelles que l’on provoque, bien qu’elles ne fassent pas défaut : — celle de l’Empereur est de cinquante mille francs ; six cent mille souscripteurs à un franc chacun donneraient à la souscription, pour une entreprise qui doit honorer le pays, un caractère éminemment national.

Vivien de Saint-Martin.

15 novembre.

FIN DU SEIZIÈME VOLUME.